COP 24 : la tentation mortifère du surplace

Émissions de gaz à effet de serre en hausse, financements insuffisants, repli international : le pessimisme domine à la veille du sommet climat, qui va fixer les modalités de l’accord de Paris.

Patrick Piro  • 28 novembre 2018 abonné·es
COP 24 : la tentation mortifère du surplace
© photo : Une mine de charbon en Pologne, un pays très dépendant de cette ressource polluante. crédit : Sean Gallup/AFP

Glissement symbolique des formules : « La période propice à l’action est sur le point de s’achever », assène l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Aux solennels et vains appels à « agir d’urgence », se substitue désormais le simple rappel des faits. L’agence onusienne présentait la semaine dernière son rapport sur la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre (GES), avant l’ouverture du sommet climatique international, qui se tient cette année à Katowice (Pologne), du 2 au 14 décembre.

Après 23 éditions, la conférence des parties (COP) à la convention des Nations unies sur les changements climatiques n’a aucune prise sur l’augmentation des émissions de GES. Nouveaux records : une augmentation pour le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O), principalement émis par l’agriculture, et surtout le prédominant gaz carbonique (CO2), libéré par les énergies fossiles, sa teneur (405,5 parties par million, ppm) s’est accrue de près de 50 % depuis le début de l’ère industrielle.

Il faut remonter à 3 à 5 millions d’années pour rencontrer une situation similaire, souligne l’OMM. Les mers étaient entre 10 et 20 mètres au-dessus de leur niveau actuel, et les températures plus élevées de 2 à 3 °C – les modèles climatiques prévoient un réchauffement supérieur à l’horizon du siècle vu la tendance actuelle. En octobre, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) publiait un rapport sans appel : à moins d’une mutation radicale et très rapide des économies, c’est désormais mission quasi impossible pour limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Cet objectif volontariste figure dans l’accord de Paris, dont on peut craindre qu’il soit ­obsolète avant même son entrée en vigueur, prévue pour 2020. « À la COP 24, les gouvernements seront face à leurs responsabilités », prévient Lucile Dufour, en charge du dossier au Réseau action climat (RAC-France). Car le ­rendez-vous de Katowice, sous des dehors techniques, est hautement politique : il s’agira de mettre au point les règles concrètes de fonctionnement de l’accord de Paris, que sa signature in extremis, fin 2015, avait renvoyées à plus tard.

En haut du menu : comment, en deux ans, organiser une hausse drastique des engagements nationaux de réduction d’émissions, alors que les maigres promesses énoncées à Paris conduisent la planète à plus de 3 °C de réchauffement ? La question financière est au cœur des négociations. En particulier, le Fonds vert de l’ONU pour le climat, destiné aux pays du Sud, est très insuffisamment doté par les pays riches, en dépit de leurs engagements.

Plus largement, les COP précédentes ont entériné le niveau global de l’effort qu’il faudrait fournir à partir de 2020 en faveur des pays pauvres affectés par un dérèglement climatique dont ils ne portent qu’une infime responsabilité : au moins 100 milliards de dollars par an. En 2016, l’OCDE estimait que les sommes mobilisées approchaient 67 milliards de dollars, canalisées par l’aide publique des pays, le soutien à l’exportation d’équipements verts, la Banque mondiale, etc. Insuffisant là encore « et, surtout, les efforts portant sur l’adaptation des pays pauvres ne dépassent pas 20 % des montants », critique Lucile Dufour. Dit autrement : les pays riches sont bien plus enclins à installer des centrales solaires (ça rapporte à leurs ­industriels) qu’à aider les petits paysans africains à s’en sortir face aux sécheresses récurrentes.

« Le moins que l’on puisse dire, c’est que le contexte géopolitique n’est pas favorable à des avancées », euphémise David Levaï, en charge des questions de gouvernance internationale du climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). À la croisade anti-climatique de Trump, qui a soustrait les États-Unis à l’accord de Paris, s’ajoute depuis peu celle de Bolsonaro au Brésil, refusant toute contrainte extérieure sur le destin de l’Amazonie. Alors que l’accord de Paris avait été précédé par un accord entre la Chine et les États-Unis actant leurs efforts climatiques conjoints, c’est la guerre commerciale qui domine aujourd’hui leurs relations. Les difficultés intérieures d’un Trudeau au Canada (élections en 2019) ou d’une Merkel en Allemagne ne les désignent pas pour prendre la tête d’une remobilisation. « On attend donc l’Union européenne », déduit David Levaï, comme s’il procédait par élimination. Alors même que les émissions continuent d’augmenter dans la plupart des pays membres. La France fait partie du lot : + 3,2 % en 2017. « Les prétentions de Macron à s’afficher comme un champion climatique ne sont pas crédibles, les efforts français sont bien insuffisants », affirme Lucile Dufour (1).

Résumé amer de l’état des négociations climatiques multilatérales, selon Ronan Dantec (EELV), « tout le monde a intérêt à jouer la montre à Katowice ». Cependant, les COP ne sont plus le seul réacteur des avancées climatiques, souligne le sénateur écologiste. La jeune association Climate Chance (2), qu’il préside, met en avant des signes encourageants dans la morosité géopolitique ambiante, tels la foudroyante baisse du coût des énergies renouvelables depuis une décennie (3), l’engagement de plus en plus marqué de collectivités territoriales (villes, régions, etc.) dans les politiques climatiques ou la montée des actions juridiques contre des pouvoirs publics jugés défaillants dans la lutte climatique (voir ici).

Monte aussi la question de l’acceptation sociale de la transition énergétique. En écho inattendu à la fronde des gilets jaunes, elle sera mise sur la table de la COP 24 par la Pologne. Pays le plus dépendant du charbon au sein de l’Union (80 % de son électricité en provient), elle revendique de ne pas porter seule la charge de sa mutation énergétique. « Au lieu de fustiger Varsovie pour ses émissions, il est plutôt sain de voir casser un non-dit de l’accord de Paris, qui renvoie chaque pays à ses engagements de réduction, sans distinction de nature d’effort », estime Ronan Dantec. C’est également de l’UE que Lucile Dufour attend une relance des ambitions. « Les directives communautaires imposent un objectif d’environ 45 % de réduction du CO2 d’ici à 2030. Aucune région n’est aussi volontariste, même s’il faudrait afficher 55 % pour viser la “neutralité carbone”. » Soit autant de CO2 absorbé qu’émis, en bilan global, un objectif qui figure aussi dans l’accord de Paris pour 2050. L’UE pourrait publier dès 2019 sa stratégie, « un signal fort et un gage de sérieux, car c’est la seule trajectoire permettant de ne pas dépasser le plafond de 1,5 °C de réchauffement », commente Lucile Dufour. a

(1) Lire Politis n° 1527, du 15 novembre.

(2) Climate Chance pilote un original « Observatoire mondial de l’action climatique non étatique » et vient de publier son premier rapport (voir climate-chance.org).

(3) En Afrique, l’électricité issue du solaire est jusqu’à deux fois moins coûteuse que celle provenant des fossiles.

Écologie
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