Fabien Roussel, camarade stratège

Le député du Nord est « disponible » pour succéder à Pierre Laurent. S’il est perçu comme sympathique et sérieux par les uns, sa candidature suscite des inquiétudes parmi les cadres du parti.

Agathe Mercante  • 21 novembre 2018 abonné·es
Fabien Roussel, camarade stratège
© photo : THOMAS SAMSON / AFP

Il a un trou au lobe de l’oreille gauche. Souvenir d’un anneau qu’il a sans doute porté un temps. « J’en ai même deux », explique Fabien Roussel, 49 ans. « Pour y mettre les deux étoiles de l’équipe de France de football », plaisante-t-il. Presque imperceptibles, ils tranchent cependant avec la chemise et la veste de costume qu’arbore désormais en toute occasion le député PCF de la 20e circonscription du Nord. Pas forcément de quoi le gêner dans les nouvelles fonctions qu’il pourrait occuper au lendemain du 38e congrès du Parti communiste, qui se tiendra ce week-end à Ivry-sur-Seine.

Depuis l’été, son nom est sur toutes les lèvres : sera-t-il le prochain secrétaire national du PCF, le successeur de Pierre Laurent ? Un texte alternatif en prévision du congrès, le « Manifeste pour un parti communiste du XXIe siècle », porté par Fabien Roussel avec André Chassaigne ou encore Frédéric Boccara, l’a en effet emporté sur la proposition de « base commune » présentée par le conseil national, à 42 % contre 37,8 %, le 6 octobre. Un camouflet pour l’actuel secrétaire national, qui n’a eu d’autre choix que d’accepter la décision des 30 000 militants communistes, en notant toutefois que « les résultats [étaient] très partagés ». Et de préparer les discussions du congrès sur la base de ce texte.

« Les communistes ont exprimé un besoin de renouvellement », analyse Fabien Roussel, qui, au lendemain du vote, s’est dit « disponible » dans les colonnes de plusieurs médias pour remplacer Pierre Laurent. Une position qu’il a dû renouveler par la suite, à la demande du secrétaire national, le 13 octobre, lors du conseil national du parti. « Je n’avais pas prévu de m’exprimer sur le sujet à ce moment-là », raconte Fabien Roussel. Mis face à ses responsabilités pour l’occasion, il est désormais en campagne, affirmant au sujet de Pierre Laurent : « Nous nous sommes vus et allons encore échanger. Car j’aspire à sortir de la confrontation. »

Si les communistes ont la culture de la discussion, de l’engueulade même, puis de la réconciliation, le parti est en proie à une guerre des chefs dans laquelle l’élu du Nord s’est engagé. « Je n’envisage pas d’autre scénario qu’une seule liste, qui doit incarner ce renouveau, avec un nouveau secrétaire national », explique-t-il à L’Humanité dans une interview le 14 novembre. Et la commission des candidatures du PCF lui a donné une nouvelle fois raison, en décidant, le 6 novembre, à 26 voix contre 24 et une abstention, de refuser à Pierre Laurent le droit de porter ladite liste. Seul. Car l’actuel secrétaire national envisage une direction bicéphale : « L’un de nous deux sera secrétaire national et l’autre pourra occuper une fonction de premier plan à ses côtés », imagine-t-il dans une interview, à L’Huma toujours, le 19 novembre. Voilà pour la Place du Colonel-Fabien.

Dans les couloirs du Palais-Bourbon, l’attitude un brin conquérante du président de la puissante fédération PCF du Nord n’est pas perçue comme telle. Dans le groupe Gauche démocrate et républicaine, il fait figure de joyeux drille. « Avec Dédé [André Chassaigne] et Elsa [Faucillon], on se marre bien. On s’entend bien, parce que ce que nous faisons est difficile », indique-t-il. Et même au-delà des bancs où siègent les élus communistes, Fabien Roussel est apprécié. « Il a beaucoup d’humour, il est sympathique et sérieux », confirme Christine Pires-Beaune, députée socialiste du Puy-de-Dôme. « Sa vision de l’entreprise n’est pas la mienne », euphémise-t-elle toutefois.

« C’est un député sérieux et assidu », constate pour sa part le président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Éric Woerth (Les Républicains), qui garde en mémoire un rapport sur « le renouvellement du matériel roulant des lignes du réseau structurant TET/Intercités » rendu par Fabien Roussel et Christine Pires-Beaune, justement. « C’était carré, très bien documenté », se souvient l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy.

Outre les transports, le député du Nord a fait de la lutte contre l’exil fiscal sa marque de fabrique. Il est d’ailleurs l’auteur d’une proposition de loi, déposée en janvier 2018, qui préconisait de créer une liste française des paradis fiscaux et il s’était illustré en décembre 2017 en racontant, à l’Assemblée, avoir créé en quelques minutes sa propre société offshore, baptisée « Ministère des comptes publics », et dont le directeur était le ministre des Finances, Gérald Darmanin.

« Compte tenu de sa circonscription, je l’imaginais plus orthodoxe », explique le député insoumis de Seine-Saint-Denis Éric Coquerel, qui avoue avoir découvert, lui aussi, un élu « sympathique et ouvert ».

Les élus du nord de la France ont la réputation d’être plus alertes sur les questions d’emploi, de grande pauvreté et de désindustrialisation. Fabien Roussel ne fait pas exception. D’autant que le PCF y tient encore un rôle fort. « C’est un territoire dur, où les gens qui votent pour le Rassemblement national ont la colère noire mais le cœur rouge », explique l’élu qui, avant d’accéder aux dorures de l’Assemblée nationale en 2017, était conseiller municipal chargé de la culture et des festivités de la ville de Saint-Amand-les-Eaux.

« Le parti communiste du Nord reste un mouvement ouvrier », rappelle l’eurodéputée Marie-Pierre Vieu. Et c’est dans la région que Fabien Roussel a fait ses gammes. Élu en 2010 secrétaire de l’importante fédération du Nord, il se fait tribun lors du discours qui clôture la conférence fédérale. « On parle souvent de la fierté des habitants du Nord-Pas-de-Calais. Oui, nous sommes fiers, comme nous sommes fiers d’être un peuple travailleur », haranguait-il. Mais il sait aussi se faire stratège – bon ou mauvais, selon les appréciations. En 2015, il est la tête de liste du PCF pour les élections régionales en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, qui prendra le nom de Hauts-de-France en 2016. Il est chargé de mener les négociations avec les autres partis de gauche en vue d’une alliance. Celles avec Europe Écologie-Les Verts et sa tête de liste, Sandrine Rousseau, ont vite tourné court. Résultats : 5,32 % au premier tour pour les communistes – une réussite ; et 4,8 % pour EELV – un échec.

Trois ans plus tard, les souvenirs sont encore teintés d’amertume. « La première chose qu’il a expliquée est qu’il était contre la fermeture des usines, quand bien même elles étaient polluantes », raconte Jérémie Crépel, élu EELV de Lille, qui rappelle que, alors que les négociations se poursuivaient, les communistes entraient en campagne… seuls. « J’ai eu l’impression que son plan était un plan de carrière, qu’il voulait succéder à Alain Bocquet (1). Il a réussi, constate-t-il. J’ai eu vent de négociations très musclées. »

Ce tempérament endurant, Fabien Roussel l’a forgé durant son enfance : fils de communistes, il a fait ses premières armes militantes durant ses études à l’université Paris-III Censier, où il étudiait le cinéma – il a d’ailleurs été journaliste cameraman durant une brève période de sa vie. La loi Devaquet en 1986 : « On bloquait Censier », se souvient-il. Il passe ensuite deux ans au Vietnam. « J’ai été surpris de la gratuité de l’accès à la culture, aux cinémas, aux théâtres, aux musées, explique Fabien Roussel, avant que le capitalisme ne s’insinue aussi dans le pays. » Cette lutte, il la rapatrie en France. En ce mois de novembre 2018, il martèle toujours : « Le capitalisme est à bout de souffle et il y a un espace à gauche pour porter ce combat. »

Pour ça, il lui faudra convaincre. Et, même si le Manifeste est sorti vainqueur des quatre textes présentés pour le congrès, les communistes n’en sont pas moins critiques sur son contenu. « Les militants de ma fédération y ont apporté près de mille amendements, c’est du jamais vu », confie un secrétaire fédéral. S’il plaide pour un vaste rassemblement, Fabien Roussel ne dissimule pas ses désaccords avec le comité exécutif. « La stratégie politique d’aujourd’hui est adaptée à la région parisienne », explique-t-il, plaidant « pour qu’on entende plus la province ».

S’il accédait au poste de secrétaire national, Fabien Roussel aimerait voir la politique des communistes se recentrer autour de trois grands pôles : le pouvoir d’achat – son cheval de bataille –, la justice fiscale et l’écologie. Mais l’orthodoxie du Manifeste inquiète. « Tous les partis sont tentés par le repli identitaire », analyse Marie-Pierre Vieu, qui redoute une fermeture du parti sur ses idées maîtresses, au détriment de l’écologie, des droits humains, de ceux des femmes… Une inquiétude d’autant plus justifiée que la critique des choix stratégiques de la direction prend, entre les lignes du Manifeste, les habits d’une attaque ad hominem contre Pierre Laurent. « Le problème que les communistes traversent n’est pas dû à la direction du parti, c’est une tendance européenne », plaide l’eurodéputée.

Place du Colonel-Fabien, les inquiétudes sont vives et, déjà, quelques cadres songent à se mettre en retrait en cas de remplacement de Laurent par Roussel. « Il faut renouveler la direction sans en faire la question d’un homme », préconise un élu. Mais que l’on se rassure : une telle lutte n’est pas nouvelle au PCF. Le changement vient de la communication qui est faite autour. Auparavant réservés aux alcôves de la Place du Colonel-Fabien, ces désaccords s’affichent désormais au grand jour. « Les successions de Georges Marchais et de Robert Hue ne se sont pas faites en douceur non plus », rappelle un cadre.

Néanmoins, les préoccupations demeurent. Au point que certains cherchent un troisième candidat, plus rassembleur, pour prendre les rênes du parti. Comme celui de Fabien Roussel en son temps, un nom revient régulièrement dans la bouche des communistes : Pierre Dharréville. Si le député des Bouches-du-Rhône se tient coi, les spéculations vont bon train. Entre les deux hommes, quelques points communs – tous deux ont été journalistes, ils sont à la tête de puissantes fédérations – et des désaccords, Pierre Dharréville étant perçu comme plus progressiste par ses camarades. Sur la ligne politique, du moins, les deux hommes s’opposent. Et là où l’un s’est séparé de son anneau à l’oreille, l’autre l’arbore encore.

(1) Alain Bocquet était alors député de la 20e circonscription du Nord depuis 1988 et spécialiste des questions d’exil fiscal, lui aussi.

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