La revanche d’Agnès

Stéphane Braunschweig aiguise l’insolence de Molière dans L’École des femmes.

Gilles Costaz  • 19 décembre 2018 abonné·es
La revanche d’Agnès
© Simon Gosselin

Le vieux libidineux et la jeune innocente, le grand méchant loup et le petit chaperon rouge transposés dans le contexte du mariage bourgeois : telle a été, jusqu’à maintenant, notre vision de L’École des femmes. Mais on peut toujours s’amuser avec les classiques et, parfois, en donnant un ton moderne à une comédie du répertoire, ouvrir des portes qui étaient restées fermées.

Stéphane Braunschweig rit beaucoup sous cape en décalant la pièce de Molière dans sa mise en scène à l’Odéon, mais, sérieux quand même dans sa traque d’une farce angoissante, il fait résonner la protestation du sexe féminin en ôtant au personnage d’Agnès son image d’oie blanche et en célébrant, à travers elle, la revanche des femmes.

Dès les premières scènes, le dépaysement est blagueur et, nous plaçant totalement dans le mouvement furieux de notre époque, met Arnolphe, ravisseur de jeune fille, et Agnès, la jeune enfermée, dans une salle de musculation où l’un et l’autre vont pédaler comme des fous sur des home-trainers. L’idée pourrait sembler gratuite, mais Arnolphe se dévoile ainsi comme un homme qui veut garder sa jeunesse, et Agnès comme une femme qui profite du sport et de la proximité moderne pour accroître sa liberté. C’est elle qui va mener le jeu. Arnolphe n’est plus seulement pris au piège qu’il a lui-même construit. Il est ridiculisé par sa victime, rageuse et insolente à son égard. Elle n’est pas ignorante des choses du sexe : son courtisan Horace a bien dû dénouer le ruban dont il est question de façon ambiguë dans le texte, et les interdits des bonnes mœurs ont certainement été franchis. Elle pourrait même avoir tué son chat, comme le suggère, sans l’affirmer, l’une des images vidéo de la soirée. Le souvenir de Lolita de Nabokov, à en juger par les poses alanguies d’Agnès, circule en filigrane, de temps à autre…

On croit d’autant plus à ces déplacements dans la mise en lumière des secrets de chacun que les principaux acteurs sont étonnants, jouant en dehors des registres habituels : Claude Duparfait, étourdissant en Arnolphe possédé par une folie faustienne, Suzanne Aubert, Agnès d’une nervosité éclatante, Assane Timbo, qui incarne le sage Chrysalde dans un relief nuancé. Ils jouent tous dans un rythme soutenu et dans un espace que Braunschweig a voulu plus transparent qu’occupé d’objets : la pièce est dans un envol continu, comme si une soufflerie poussait les interprètes et que l’action était au-delà du sol, dans une dimension d’estampe ultramoderne.

L’École des femmes, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris, 01 44 85 40 40, jusqu’au 29 décembre. Tournée, jusqu’en mai : La Rochelle, Clermont-Ferrand, Annecy, Liège, Saint-Étienne, Marseille, Besançon, Dijon.

Théâtre
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