LFI fait le tri

Après plusieurs défections et exclusions, les insoumis dévoilent leurs candidats lors d’une convention nationale le 8 décembre.

Agathe Mercante  • 5 décembre 2018 abonné·es
LFI fait le tri
© photo : Manuel Bompard et Charlotte Girard, binôme tête de liste aux européennes, avant que la seconde y renonce.crédit : JACQUES DEMARTHON/AFP

Dans le jargon des classes préparatoires scientifiques, il existe, en deuxième année, des classes nommées « étoiles », composées seulement des meilleurs éléments.

Autain et Faucillon lancent un « mouvement d’influence »

Deux députées, l’une de La France insoumise, l’autre du PCF, ont lancé le 30 novembre ce qu’elles ont appelé, faute de mieux, un « mouvement d’influence ». Clémentine Autain (Seine-Saint-Denis) et Elsa Faucillon (Hauts-de-Seine) ont réuni dans une brasserie parisienne une quarantaine de personnalités, membres de LFI ou du PCF, mais favorables à un rapprochement entre les deux formations, dont plusieurs maires de la banlieue parisienne, des syndicalistes, des intellectuels pour débattre de cette initiative qui, dans un premier temps, devrait se limiter à la publication d’une newsletter, avant un « événement public » en mars. Les mots « démocratie » et « pluralisme » ont souvent été prononcés par les intervenants. Comme chacun sait, ce ne sont pas les mots préférés de Jean-Luc Mélenchon, que certains ne se sont pas privés de critiquer sévèrement. Le constat partagé par la plupart des participants étant que LFI ne pouvait pas prétendre à une position hégémonique, à l’exclusion de tout autre courant de la gauche de transformation sociale. L’idée est donc d’établir des passerelles, et « surtout pas un parti », comme l’a souligné Clémentine Autain. Pas non plus un brûlot anti-Mélenchon, même s’il n’est pas sûr que l’initiative ravira le député de Marseille.

Denis Sieffert

Cette dénomination fait référence au fait qu’en mathématiques un ensemble « * » ne contient pas le 0, soit l’élément nul. En évinçant certains des candidats pour les élections européennes, La France insoumise (LFI) s’est dotée d’une liste « étoile », privée ici des agitateurs et autres voix dissonantes. Si les personnalités placées en position éligible ne seront dévoilées que le 8 décembre à Bordeaux, à l’occasion de la convention nationale du mouvement, plusieurs manqueront à l’appel. Dernièrement, c’était Djordje Kuzmanovic, proche de Jean-Luc Mélenchon, en disgrâce depuis ses prises de position sur l’immigration – et qui a depuis quitté le mouvement – et François Cocq, enseignant et essayiste, défenseur d’une ligne de « rassemblement populaire ». Avant eux, le socialiste insoumis Liêm Hoang-Ngoc et l’écologiste Corinne Morel Darleux, jusqu’à très récemment membre de la direction du Parti de gauche. Si le comité électoral de LFI a invoqué diverses raisons pour n’avoir pas retenu ces candidatures – difficile, en effet, de faire une généralité sur ces cas précis –, le message est clair : dans la perspective des européennes de mai 2019, aucune tête ne doit dépasser. « Constituer une liste pour des élections européennes a toujours été compliqué », soupire Éric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis. L’ordination de ces listes relève, pour tous les partis, du casse-tête. En témoignent les difficultés rencontrées par le Parti socialiste ou le Parti communiste.

À la France insoumise pourtant, on comptait sur une issue plus heureuse. La création d’un comité électoral composé de 14 représentants des différents espaces de LFI (programme, lutte, équipe opérationnelle, politique) et 18 personnes tirées au sort parmi les membres apporterait, espérait-on, une légitimité à ces décisions. Las, l’opacité entourant ce groupe a eu raison de sa bonne volonté. Dans la perspective des européennes, il faut parler d’une même voix, plaide Manuel Bompard, tout à la fois directeur des campagnes de LFI, candidat pour ces mêmes élections et membre du comité électoral, pour justifier ces exclusions. « Les candidats ne peuvent perdre leur temps à répondre sur ce qu’a dit tel ou tel autre candidat, explique-t-il. Il faut que nous soyons tous sur la même ligne. »

Mais quelle est-elle, la ligne 2018 de LFI sur l’Europe ? Le premier document de travail qui avait été diffusé était marqué par le dégagisme. Sur le site web du mouvement, on en trouve encore trace. Publié le 12 avril 2018, il appelle à dégager, pêle-mêle, « la caste en Europe », « la finance », « les lobbys », « les fauteurs de guerre » et « les réactionnaires ». Neuf mois plus tard, le discours s’est apaisé, le texte, affiné. Enrichi par près de 600 contributions, le programme européen a été soumis au vote des militants du 28 novembre au 3 décembre (les résultats seront, eux aussi, diffusés le 8 décembre à Bordeaux). Et si la ligne qu’il dessine mérite d’être encore détaillée, les idées fondatrices du mouvement y figurent en bonne place. À commencer par les plans A et B, expliqués en introduction : « Le plan A implique la renégociation collective des traités […]_. Le plan B est notre arme indispensable dans le rapport de force. Au-delà des batailles immédiates, nos eurodéputés seront donc des éclaireurs pour cette stratégie »_, peut-on lire. Fermez le ban. La référence se limite à ces quelques lignes.

Suivent les propositions, regroupées sous 5 grands thèmes : la souveraineté populaire, bafouée « comme l’a été le vote “non” des Français au traité constitutionnel en 2005 », l’écologie, la « mise au pas de la finance », la « construction de la paix et de la coopération » et, enfin, l’extension « des droits et des libertés », face aux « réactionnaires ». Quelques propositions, comme l’instauration d’un « mois parlementaire européen » où les parlements nationaux plancheront sur les textes européens en amont de leur examen à Strasbourg et disposeront d’un droit de veto, un « carton rouge », ou l’organisation d’une « Conférence internationale sur les migrations » diligentée par l’ONU suscitent l’intérêt. Mais quant à savoir si des eurodéputés, même nombreux – La France insoumise est créditée de 11 % d’intentions de vote (1) –, seront en mesure de porter ces projets dans un Parlement européen aux pouvoir limités…

Mais peu importe. Une fois les bases idéologiques posées, la stratégie prime. Comme annoncé lors de la deuxième université d’été qui s’est tenue fin août à Marseille, la France insoumise compte faire de cette élection un « référendum anti-Macron ». Qualifié à l’époque de « petit copiste » des politiques européennes, il est, dans le texte programmatique des insoumis, décrit comme « le fils aîné de l’Union européenne », appliquant « fidèlement les mêmes recettes libérales mises en oeuvre depuis trente ans ».

Des initiateurs de cette ligne, les militants et candidats insoumis ne savent rien, ou presque. Le comité électoral, « seule instance constituée de cette formation politique gazeuse », selon Djorge Kuzmanovic (2), applique les décisions d’un exécutif aux contours flous… mais à la riposte facile. « La critique interne, même bienveillante, est vécue comme une attaque, le pas de côté comme une trahison », expliquait Corinne Morel Darleux dans le post Facebook annonçant son départ de la direction du Parti de gauche. En ces circonstances, difficile de mener une campagne électorale. Charlotte Girard, du binôme tête de liste, a d’ailleurs annoncé, le 15 novembre, y renoncer : « Il m’est apparu que les conditions d’organisation dans lesquelles nous évoluons rendent incompatibles une campagne tout comme un mandat de député européen – au niveau où je voudrais les mener – avec mes contraintes personnelles, familiales et professionnelles. » Comprenne qui pourra, elle n’en dira pas plus. Mise au parfum quelques mois avant l’annonce, La France insoumise était, jusqu’ici, en peine de lui trouver une remplaçante. Le nom de Manon Aubry, la porte-parole de l’ONG Oxfam, est sur toutes les lèvres. Quant à savoir si cette ancienne de l’Unef acceptera de mener la campagne en dépit des critiques qui secouent le mouvement… Verdict le 8 décembre.

(1) Elabe pour BFM TV, publié le 7 novembre.

(2) « Pourquoi je quitte la France insoumise », Marianne, 28 novembre.

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