Trump coupe la route à la caravane des migrants

Bloqués à la frontière à Tijuana sans guère d’espoir d’être accueillis aux États-Unis, des centaines de migrants ont commencé à se disperser.

Patrick Piro  • 5 décembre 2018 abonné·es
Trump coupe la route à la caravane des migrants
© photo : Le mouvement d’exode a compté jusqu’à 9 000 marcheurs. crédit : ULISES RUIZ /AFP

La caravane des migrants s’est fracassée à Tijuana contre l’imposant dispositif militaire déployé par les autorités états-uniennes. À quelques mètres de la frontière, le rêve américain était à portée de regard, matérialisé par San Diego, deuxième ville de Californie, qui se dessine le long du trait de plage de la côte Pacifique. Mais les migrants ne toucheront ce paysage que du regard, au travers d’infranchissables barrières que surveillent en permanence des gardes-frontières lourdement équipés.

À lire aussi >> Amérique centrale : Tenter le passage, une fois encore…

D’abord composée de 2 000 Honduriens parvenus au Guatemala, la caravane a compté jusqu’à plus de 7 000 marcheurs, dont 1 500 enfants, gonflée par des participants guatémaltèques, salvadoriens ou mexicains, sur un parcours de 4 300 kilomètres qui les a menés de San Pedro Sula (Honduras), mi-octobre, jusqu’à la ville frontière entre le Mexique et les États-Unis, fin novembre. Selon les autorités mexicaines, leur nombre aurait même atteint 9 000 en bout de course, et plus de 2 000 autres candidats feraient toujours route au nord, vers la terre promise. Et inaccessible. Les forces de l’ordre ont brutalement repoussé quelques centaines de migrants qui manifestaient vers le poste-frontière pour revendiquer leur droit à l’asile. Les images d’enfants dépenaillés fuyant les gaz lacrymogènes ont déclenché des réactions scandalisées aux États-Unis. Sans infléchir d’un iota la position des autorités : l’administration Trump, ouvertement hostile à l’immigration, n’entend pas faire le moindre effort pour considérer la situation désespérée des candidats à l’accueil. Au printemps dernier, les mesures de séparation systématiques des enfants et des parents interceptés à la frontière en situation illégale avaient suscité une émotion considérable.

Durant les quelque six semaines de sa lente pérégrination, la caravane a été la cible privilégiée de la diatribe de Donald Trump. Avant et après des élections de mi-mandat (6 novembre) à fort enjeu de politique intérieure, le Président a attisé l’animosité des républicains contre l’immigration, dénonçant un « assaut » en préparation pour « violer les frontières » et « submerger » le pays, accusant ses adversaires démocrates de l’encourager. Jusqu’à dénoncer la « grosse arnaque » d’une caravane humanitaire de personnes fuyant la pauvreté et la violence dans leur pays, alléguant la présence importante de terroristes musulmans et de membres du très violent gang Mara Salvatrucha (MS-13). Pour renforcer les 2 000 gardes-frontières, Trump a dépêché jusqu’à 6 000 militaires à la frontière mexicaine, les encourageant à tirer sur les migrants qui s’aviseraient de leur jeter des pierres. Il a autorisé le rejet automatique de toute demande d’asile déposée par des migrants illégalement entrés dans le pays, remettant en cause le droit du sol pour les enfants nés aux États-Unis de parents sans papiers.

Hyperactif sur ce front, Trump a mis la pression sur les gouvernements hondurien, guatémaltèque et salvadorien, « incapables d’empêcher les gens de quitter leurs pays ». Ce « triangle du Nord » est depuis des années le creuset d’une émigration massive, en raison de conditions économiques difficiles, mais aussi de graves crises politiques ainsi que d’un degré de violence très élevé. Alors qu’un accord de 2014 engage les États-Unis à verser 750 millions de dollars d’aide économique à ces pays pour qu’ils réduisent les migrations, Trump menace désormais de fermer le robinet.

Les demandes d’asile pour les États-Unis sont officiellement passées de 5 000 à 97 000 depuis 2013. Et les chances de les voir aboutir, pour les migrants de la caravane, sont très minces. Encore leur faudra-t-il de la patience et de quoi tenir bon jusqu’à plusieurs mois : les services de l’immigration ne traitent que quelques dizaines de dossiers par jour. Quand bien même le Mexique accepterait d’accueillir temporairement les candidats à l’immigration dans cette attente, des centaines d’entre eux ont commencé à quitter Tijuana, souvent pour prendre le chemin du retour. Pour les autres, la pluie, les conditions sanitaires et une extrême précarisation pourraient avoir rapidement raison des derniers espoirs démesurés de ceux « qui ne courent pas après le rêve américain, mais fuient le cauchemar hondurien », selon la formule de Jari Dixon, député d’opposition du pays.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Des deux côtés de l’Atlantique, la social-démocratie n’est jamais finie (mais c’est pas jojo)
Analyse 6 juin 2025

Des deux côtés de l’Atlantique, la social-démocratie n’est jamais finie (mais c’est pas jojo)

Les gauches sont bien à la peine à l’échelle mondiale. Trop radicales, elles perdent. Les moins radicales sont diabolisées. Toutes sont emportées dans un même mouvement. Pourtant, dans un monde où les vents de l’extrême droite soufflent fort, la social-démocratie n’a pas encore perdu la partie.
Par Loïc Le Clerc
Avoir moins de 20 ans dans la bande de Gaza
Récit 4 juin 2025 abonné·es

Avoir moins de 20 ans dans la bande de Gaza

Plus de 50 000 personnes au sein du territoire enclavé ont été tuées ou blessées par l’armée israélienne depuis le 7-Octobre. Mais le sort des survivants doit aussi alerter. Privée d’éducation, piégée dans un siège total au cœur d’une terre dévastée, toute la jeunesse grandit sans protection, sans espoir.
Par Céline Martelet
À Gaza, « les enfants sont en train d’être exterminés »
Entretien 4 juin 2025 abonné·es

À Gaza, « les enfants sont en train d’être exterminés »

Khaled Benboutrif est médecin, il est parti volontairement à Gaza avec l’ONG PalMed. La dernière fois qu’il a voulu s’y rendre, en avril 2025, Israël lui a interdit d’entrer.
Par Pauline Migevant
En France, la nouvelle vie des enfants de Gaza
Témoignages 4 juin 2025 abonné·es

En France, la nouvelle vie des enfants de Gaza

Depuis le début de la guerre dans l’enclave palestinienne, les autorités françaises ont accueilli près de cinq cents Gazaouis. Une centaine d’autres ont réussi à obtenir des visas depuis l’Égypte. Parmi ces réfugiés, une majorité d’enfants grandit dans la région d’Angers, loin des bombardements aveugles de l’armée israélienne.
Par Céline Martelet