« Kanata » : Déception sous le Soleil

Dans Kanata, Robert Lepage aborde la polémique créée par sa pièce, sans élever le débat.

Anaïs Heluin  • 8 janvier 2019 abonné·es
« Kanata » : Déception sous le Soleil
© photo : David Leclerc

C’est un visage qui nous accueille. Celui de Josephte Ourné, sorte de Joconde autochtone réalisée en 1840 par Joseph Légaré. Un artiste autodidacte, collectionneur d’art et politicien, « connu pour ses représentations d’événements culturels d’importance et ses tableaux des Premières Nations », lit-on sur le site du Musée des beaux-arts du Canada, où a lieu la scène d’ouverture de Kanata. La conservatrice du lieu (interprétée par Shaghayegh Beheshti) présente au commissaire du Musée du quai Branly-Jacques Chirac (Vincent Mangado) une série d’œuvres où sont représentés les rapports entre Canadiens et peuples des Premières Nations. En quelques phrases clichés, le Français dit son ignorance de ce pan d’histoire. Les bases de la « Controverse », sous-titre du spectacle, sont posées.

Interprétée par la troupe du Théâtre du Soleil, que sa directrice, Ariane Mnouchkine, a mis à la disposition du fameux directeur de la compagnie Ex Machina, Robert Lepage, Kanata traite en effet de la polémique dont elle a elle-même fait l’objet (1). D’abord développés en parallèle par fragments très visuels, les différents récits passés et présents qui composent la pièce s’acheminent vers l’histoire d’un personnage dont la ressemblance avec Ariane Mnouchkine n’est pas fortuite. Soit Miranda (Dominique Jambert), une artiste peintre qui s’installe avec son compagnon à Vancouver, où elle se prend d’amitié pour Tanya, une prostituée autochtone (Frédérique Voruz). Elle décide de faire son portrait et celui d’autres femmes, victimes d’un serial killer. Initiative qui déclenche la colère des familles. Comme le choix de Lepage de traiter de l’histoire des Autochtones sans solliciter leur présence a suscité l’irritation de certains.

L’« histoire du Canada à travers les oppressions subies par les Autochtones », sujet annoncé par le metteur en scène, passe ainsi au second plan de Kanata. Le génocide et les violences dont les peuples des Premières Nations ont été victimes sont évacués en quelques scènes. Comme un ballet de tronçonneuses pour dire l’appropriation des terres, ou un témoignage vidéo d’une survivante de pensionnat autochtone au Canada.

En plus d’esthétiser à outrance la douleur grâce à un dispositif mêlant vidéo et décors hyperréalistes changés à vue par les comédiens, Kanata déçoit ainsi l’attente créée par son introduction. Plutôt que d’interroger l’évolution des représentations des rapports entre Autochtones et Canadiens, Lepage fait surtout l’éloge de sa démarche et de celle de son hôtesse. Ce qui n’est pas de nature à élever le débat autour de la notion d’appropriation culturelle qu’a provoqué la pièce, et qu’elle continue d’alimenter.

Kanata, jusqu’au 17 février au Théâtre du Soleil, Cartoucherie, Paris XIIe, 01 43 74 24 08, theatre-du-soleil.fr

(1) Lire Politis n° 1531, du 13 décembre 2018.

Théâtre
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