Bien saignant

Guillaume Séverac-Schmitz et le collectif Eudaimonia modernisent La Duchesse d’Amalfi de Webster, guerre familiale en clair-obscur.

Gilles Costaz  • 26 février 2019 abonnés
Bien saignant
© crédit photo : CRistophe raynaud

Shakespeare écrase tous ses contemporains, les Ford, Tourneur, Kyd, Middleton, Webster, et même les Jonson et Marlowe. Pourtant, on sait qu’à la seconde moitié du XVIe siècle et au début du XVIIe le théâtre anglais fut particulièrement fertile, dans un registre fort sanguinolent.

Quelques courageux reviennent à des auteurs oubliés de ce temps hanté par la violence. L’Odéon programme bientôt une Tragédie de la vengeance, un spectacle composite agencé par Simon Stone. Auparavant, le collectif Eudaimonia aura présenté à la Maison des arts de Créteil une Duchesse d’Amalfi de John Webster, qui fait actuellement l’objet d’une tournée.

La Duchesse d’Amalfi n’est pas une tragédie inconnue. Elle est reprise de temps à autre, sans doute parce qu’elle a le mérite de prendre le parti des femmes en plaçant une héroïne au cœur noble dans les tenailles d’un monde d’hommes ignobles. En tant que scénario, c’est un vrai mélo. Dans un duché du sud de l’Italie, le pouvoir est à partager entre une jeune veuve et ses deux frères. Ceux-ci interdisent à leur sœur de se remarier pour rester maîtres de la situation. Chacun a sa forme de cynisme, l’un n’ayant aucun respect de la vie des autres, l’autre raffolant du libertinage. Mais la duchesse est amoureuse d’un homme qui n’est pas de son rang et l’épouse en secret. Elle le paiera de sa vie, de façon particulièrement cruelle, car un espion a suivi chacun de ses pas. La fièvre meurtrière se poursuit ensuite. Il n’y aura pas qu’un cadavre sur le plateau à la dernière scène du dernier acte !

Guillaume Séverac-Schmitz et le collectif Eudaimonia (associé au Cratère d’Alès) avaient réussi il y a deux ans un très beau ­Shakespeare, Richard II, dépouillé, artisanal, concentré sur quelques personnages joués par des acteurs impressionnants. La formule est assez semblable ici. Le traducteur Clément Camar-­Mercier a écrit un texte coloré où il ne s’interdit pas les modernismes et où il ramène le nombre de protagonistes à quelques individus essentiels. Mais ­Séverac-Schmitz fait davantage intervenir la technique, avec des rampes lumineuses déplacées par des opérateurs non dissimulés. Cette abstraction électrisée, assez laide, convient mal à Webster. Il faudrait soit plus de concret dans le gore, soit plus d’abstraction encore.

L’interprétation, néanmoins, confère au spectacle une puissance assez rare : Éléonore Joncquez est une duchesse d’Amalfi toujours dans la flamme poétique du texte. Thibault Perrenoud joue bien du contraste entre sa douceur apparente et la violence de son rôle. Jean Alibert donne une belle dualité à son personnage de traître de mélodrame. Nicolas Pirson (horrible cardinal !), François de Brauer, Lola Felouzis et Baptiste Dezerces savent eux aussi exister dans une esthétique où l’acteur est lâché sans garde-fou et se retrouve souvent seul dans des trous de lumière.

Il y a là un style convaincant. Pourtant, le plaisir est moins grand qu’au précédent spectacle, Richard II. À croire que Shakespeare donne plus d’altitude aux jeunes troupes que les oubliés du répertoire. Non : tous ces écrivains qui forment une comète autour du grand Will ont leur singularité. Mais l’équipe, ici, n’atteint pas tout à fait l’équilibre entre le brûlant du baroque et le froid d’une mise en place scénographique très mentale.

La Duchesse d’Amalfi : 7-9 mars à Aix-en-Provence (Jeu de paume), 3 avril à Narbonne, 17-18 avril à Nîmes. Texte français de Clément Camar-Mercier aux éditions Esse Que.

Théâtre
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