De la maternelle au lycée, ras le bol !

Dans tout le pays, la grogne des enseignants monte. La raison ? Des suppressions de classes dans le primaire et dans le secondaire qui auront pour conséquence l’augmentation significative du nombre d’élèves par classe. À Chelles, les enseignants de la maternelle au lycée ont décidé de dire stop !

Jean-Riad Kechaou  • 15 février 2019
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De la maternelle au lycée, ras le bol !
crédit photo : Patrick Kovarik / AFP

Alors que le département de Seine-et-Marne est en plein boom démographique, l’inspection académique de Melun et son comité technique spécial départemental (CTSD) a décidé la fermeture de 180 classes en primaire ! 180 classes qui pourraient disparaître donc à la rentrée scolaire 2019 dans le département contre seulement soixante ouvertures, soit un solde très largement négatif.

Hausse démographique et diminution des moyens, un cocktail explosif

À Chelles, cela se traduit par la fermeture de 10 classes dans les écoles primaires. Et le problème est identique dans les collèges de la ville. Dans mon collège, une classe sera fermée à la rentrée 2019 alors que nous devons accueillir 21 élèves de plus que cette année et qu’il aurait donc fallu en créer une supplémentaire. Concrètement, nos 7 classes de sixième seront déversés sur 6 classes de cinquième. Sur les autres niveaux aussi, les effectifs par classe vont ainsi inexorablement gonfler. Même son de cloche dans deux autres collèges de la ville. Un autre collège ne voit pas de classe créé malgré 32 élèves en plus. Le troisième, à effectif constant, perd une classe et voit ses effectifs flirter avec 30 élèves en 4e et en 3e.

Les lycées ne sont pas épargnés alors qu’ils doivent mettre en place une réforme du bac qui renforcera les inégalités territoriales. L’un des trois lycées de la ville a d’ailleurs participé mardi dernier à la nuit des lycées pour manifester son inquiétude.

Une école de la confiance, vraiment ?

À l’heure où le projet de loi intitulé école de la confiance est examiné par nos députés, l’intitulé même de cette loi sonne comme une offense à notre égard tant le décalage est grand entre les idéaux visés et la réalité sur le terrain.

Pire, on remet en cause notre dévouement en cherchant à museler nos désaccords lorsque nous souhaitons les exprimer publiquement dans les médias ou des réseaux sociaux. L’article 1 de la loi votée le 19 février insiste sur une devoir d’exemplarité des enseignants. Des sanctions allant jusqu’à la radiation sont prévues pour ceux qui diffameraient l’institution….

Comprenons nous bien, si nous sommes si nombreux à nous plaindre aujourd’hui, ce n’est pas pour jeter un discrédit ou diffamer l’Éducation nationale. C’est plutôt le contraire. Nous sommes attachés à la noble mission qui est la nôtre. Nous sommes même d’ardents défenseurs de l’école publique gratuite et obligatoire.

Mais comment travailler dans de bonnes conditions avec des effectifs aussi nombreux qui rendent difficile voire impossible l’accompagnement de tous nos élèves ?

Plus la dotation horaire d’un établissement est généreuse, plus le travail en groupe est favorisé. Avec des groupes réduits, on peut faire des travaux pratiques dans les matières scientifiques, accompagner nos élèves en fonction de leurs besoins et même mettre en place des projets innovants

Voilà 17 ans que j’enseigne avec passion et je constate, dépité, que l’éducation de notre jeunesse n’est plus la priorité de nos gouvernements. Enfin, l’éducation dans le secteur public, devrais-je dire, car l’obligation scolaire dès 3 ans permettra aux écoles privées de recevoir davantage de subventions publiques. Elles sont les grandes gagnantes de cette réforme.

Plus d’heures sup et donc moins de professeurs

Notre métier est méprisé et il n’attire plus car les conditions de travail se dégradent. Les salaires sont aussi répulsifs.

Pour combler le manque criant d’enseignants on ne trouve pas mieux que de faire appel à des contractuels toujours plus nombreux. Les rectorats les recrutent souvent en ciblant les étudiants qui ont échoué aux concours de recrutement. Mais ils n’auront ni le salaire ni la formation des professeurs titulaires.

La nouvelle loi permettra aussi aux assistants d’éducation (surveillants) qui se destinent au métier d’enseignant de pouvoir enseigner à temps partiel dès leur deuxième année de licence avec des salaires ne correspondant pas, bien évidemment, à cette mission.

Enfin, on demande également aux enseignants du secondaire d’accepter des heures supplémentaires qui favorisent la suppression de postes. La nouvelle loi doit nous contraindre à accepter deux heures supplémentaires hebdomadaires. Et comme nos indices sont gelés, c’est souvent le seul moyen d’augmenter nos salaires, ce qui n’est pas normal.

Grève générale !

À Chelles, les professeurs ont donc décidé de réunir leur force pour dire stop.

© Politis

Mercredi 13 janvier, une assemblée générale a réuni plus de 100 personnes à Chelles. Enseignants de la maternelle au lycée, psychologue, assistante sociale, parents d’élèves ont exprimé leur colère mais aussi leur résignation devant ce manque criant de considération.

Pourquoi ce manque de moyens dans notre ville ?

L’une des réponses est évidente. À budget constant, le ministère, pour financer sa mesure phare d’un professeur pour 12 élèves en CP et CE1 dans les réseaux d’éducation prioritaire est obligé de faire des coupes significatives ailleurs. Comme le dit l’adage populaire, on déshabille Pierre pour habiller Jacques.

La seconde réponse, c’est une hypothèse, soit que notre département de Seine-et-Marne, dans sa globalité, ne soit pas assez pourvu par le rectorat de Créteil.

Trente élèves en maternelle, 27,5 élèves en élémentaire et des effectifs qui vont atteindre à terme 30 élèves dans les collèges voilà ce que l’on nous offre à Chelles, une ville qui abrite de nombreux quartiers populaires ! Et il n’y a pas que les enseignants victimes de cette coupe sévère. Il n’y a qu’un seul référent pour les AVS avec 300 jeunes en situation de handicaps dans notre commune. Le Rased est en train de disparaître dans le primaire ( réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) et nos infirmièr.e.s, assistant.e.s sociales et psychologues sont à cheval sur plusieurs établissements alors qu’on aurait besoin de ce personnel à plein temps.

Chelles, ville la plus peuplée de son département avec 55 000 habitants est en pleine explosion démographique. Un collège de 600 élèves doit être livré pour 2022 et il sera déjà plein à sa livraison selon les prévisions.

En attendant, au lieu d’ouvrir de nouvelles classes pour faire face à cette hausse des effectifs, on choisit donc d’augmenter de manière significative le nombre d’élèves par classes.

Nous ne pouvons l’accepter sans rien dire. Les dotations horaires générales n’ont pas été votés dans trois collèges lors des conseils d’administration. Dans trois collèges, lors des conseils d’administration réunis pour l’occasion, les professeurs ont voté contre les dotations horaires générales bien aidés par les représentants des parents d’élèves.

Samedi 16 février, une manifestation a eu lieu dans la ville. Environ 400 enseignants ont défilé pour signifier leur mécontentement.

© Politis

La grève d’aujourd’hui est massivement suivie. On dénombre 220 professeurs grévistes dans le primaire soit un taux de gréviste dépassant les 90 %. Les chiffres du secondaire arriveront plus tardivement dans la journée.

Cette grève, c’est une première, réunira les enseignants de la maternelle au lycée. Nous nous rendrons aujourd’hui à pied de la préfecture de Melun dans laquelle aura lieu le conseil départemental de l’Éducation nationale (CDEN) qui valide ces coupes budgétaires dans le secondaire.

Des drapeaux, l’hymne national mais plus de professeurs

Pour finir, quelle ironie de l’histoire, on nous annonce qu’un amendement de la loi sur l’éducation a été voté lundi soir. Nous seront censés avoir dans toutes nos classes les drapeaux de la France et de l’Union européenne ainsi que les paroles de « La Marseillaise ».

On manque de patriotisme dans notre pays selon M. Ciotti qui a déposé l’amendement. Voilà la priorité de nos députés ? Ou est-ce une belle diversion pour créer une nouvelle polémique qui cachera cette saignée ?

Car j’aimerais savoir si cette politique dictée par des contraintes budgétaires fait preuve de patriotisme ?

Comment transmettre les savoirs fondamentaux et les valeurs de notre république dans des classes surchargées ou avec des enseignants mal formés ?

Les classes seront vides à Chelles aujourd’hui pour que notre jeunesse ait le droit à un enseignement de qualité, voilà un acte patriote !

Car s’il y a bien des défenseurs de notre république et de ses valeurs comme le proclame notre hymne c’est bien du côté du corps enseignant qu’il faut aller les chercher.

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