La banlieue oubliée

On a trop souvent été dupé dans les « quartiers » et on ne croit plus à grand-chose qui vienne du pouvoir. Pourtant, les problèmes sont beaucoup les mêmes que chez les gilets jaunes.

Denis Sieffert  • 6 février 2019
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La banlieue oubliée
© crédit photo : Ludovic MARIN / AFP / POOL

Eurêka ! Tel Archimède découvrant la loi qui allait porter son nom, Emmanuel Macron aurait donc trouvé la martingale qui devrait lui permettre de remporter la partie contre les gilets jaunes. Il ne s’agit pas seulement d’un référendum, mais de plusieurs, posant des questions qui appelleraient de préférence des réponses multiples, et qui se tiendrait le même jour qu’un autre scrutin d’intérêt supérieur. Le 26 mai, en même temps que les élections européennes, les Français seraient invités à se prononcer sur le nombre de députés élus à la proportionnelle, la prise en compte des bulletins blancs, la généralisation des référendums et – pourquoi pas ? – sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature… Le questionnement serait assez subtil pour que la macronie ait intérêt à suggérer tantôt le oui et tantôt le non, en sorte que le politologue le plus aguerri y perde son latin. Et n’allez surtout pas imaginer que le cynisme préside à pareille invention ! La preuve : c’est au nom de la démocratie que ce gymkhana électoral serait organisé. Voilà en tout cas le schéma présenté avec force détails par le Journal du dimanche après que son journaliste eut été invité à recueillir les confidences présidentielles avec quelques autres happy few triés sur le volet. Est-ce un ballon d’essai pour voir comment réagit l’opinion, ou un plan déjà solidement établi ? Nul ne sait. De nombreux obstacles peuvent faire capoter l’entreprise : un calendrier trop serré, des impossibilités constitutionnelles et, last but not least, les réticences au sein même du gouvernement. Deux ministres, Jean-Yves Le Drian et Nathalie Loiseau, ont déjà émis plus que des réserves.

Que l’affaire se fasse ou non, le projet en dit long sur les intentions élyséennes. On est plus dans un jeu de bonneteau que dans un projet de réforme. Et la mystification est encore plus évidente lorsqu’on réalise que toutes les questions envisagées portent sur des sujets institutionnels. Aucune sur le social. Loin de moi l’idée de négliger les questions institutionnelles, mais il nous semble que le mouvement des gilets jaunes a démarré sur le prix du carburant, le pouvoir d’achat, la justice fiscale et l’éloignement des services publics. Pour nous convaincre du contraire, le patron des députés LREM, Gilles Legendre, a bien tenté de refaire l’histoire en s’empressant de nous « rappeler » que « la vraie question que pose la crise des gilets jaunes […]_, c’est la question de la méthode de gouvernement »_. Aurions-nous la berlue ? Tout faire, décidément, pour éviter de remettre en cause le fameux « cap » présidentiel, et ne pas toucher au partage des richesses que soulevait, au moins symboliquement, la demande de rétablissement de l’ISF.

Mediapart

Nos amis de Mediapart ont dû faire face à une très inquiétante tentative de perquisition. Nous leur exprimons bien sûr notre solidarité dans une affaire qui touche à la liberté de la presse. Voir à ce sujet notre événement pages suivantes, et la chronique de Pouria Amirshahi.

Cette insincérité, qui n’est pas nouvelle, est sans doute la raison de l’absence des banlieues dans le « grand débat », comme dans les mobilisations actuelles. On a trop souvent été dupé dans les « quartiers » et on ne croit plus à grand-chose qui vienne du pouvoir. Pourtant, les problèmes sont beaucoup les mêmes. Ici, l’éloignement des services publics, là, leur dégradation. Ici, le prix du carburant, là, les loyers et le logement, et toujours le pouvoir d’achat.

Mais ce qui fait la différence, c’est un autre niveau de chômage, de concentration de la misère, et l’absence de mixité sociale. Lundi, Emmanuel Macron a pointé le bout de son nez présidentiel à Évry-Courcouronnes pour redécouvrir les problématiques qu’il avait lui-même balayées d’un revers de main en mai 2018 lorsqu’il avait jeté aux orties le rapport commandé six mois plus tôt à Jean-Louis Borloo. C’était le temps du mépris jupitérien. Il y revient aujourd’hui, affaibli. Mais pour quoi dire et quoi faire ? C’est l’autre bombe à retardement qui guette le gouvernement et notre société tout entière. La banlieue fait peut-être moins peur aux élus de droite. On y vote moins. Et les colères sporadiques ne reçoivent pas le même soutien de l’opinion. L’irrésolu post-colonial peut apparaître cyniquement comme un allié de circonstance des pouvoirs. D’où l’oubli. Depuis le rejet du plan Borloo – qui n’était pas une panacée, mais au moins une marque de considération –, Emmanuel Macron a même aggravé son cas. Souvenons-nous de la quasi-suppression des emplois aidés, et des attaques contre le mouvement associatif.

Pendant que les gilets jaunes se battent pour sauver leur inclusion dans la société, les jeunes des quartiers ont souvent le sentiment d’être exclus. Les gilets jaunes votent. Les jeunes des banlieues beaucoup moins. Les uns espèrent. Les autres, parfois, désespèrent. C’est toute la différence. Contre l’exclusion et le désespoir, ce sont les enseignants, les « assoc », des militants de gauche, des maires aussi qui luttent dans l’adversité. Sans l’État, quand ce n’est pas contre lui. Lundi, Emmanuel Macron a promis un « grand plan » pour compenser la suppression des emplois aidés. C’est peu dire que ses hôtes d’un jour se sont montrés incrédules.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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