Walter Benjamin, marxiste hors ligne et premier écolo ?

Le philosophe et sociologue Michael Löwy a réuni ici plusieurs essais sur le penseur allemand, dont il offre une lecture inédite et analyse la dimension révolutionnaire.

Olivier Doubre  • 6 février 2019 abonné·es
Walter Benjamin, marxiste hors ligne et premier écolo ?
© crédit photo : Leemage/AFP

Franco-brésilien né en 1938, proche de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) française (il s’installe définitivement à Paris dès 1969) et ami du philosophe Daniel Bensaïd, Michael Löwy ne découvre l’œuvre de Walter Benjamin – proche d’Hannah Arendt, de l’École de Francfort ou de Gershom Scholem – qu’à la fin des années 1970. C’est pour lui une révélation : « Dans mon itinéraire intellectuel, il y a un avant et un après cette illumination profane. » Et ce choc tient d’abord à la lecture de l’une des dernières œuvres du penseur juif allemand, les Thèses sur le concept d’histoire, écrites en 1940 à la veille de son suicide à Portbou (Catalogne) pour éviter que les autorités franquistes ne le remettent à la police du régime de Vichy puis aux nazis.

L’un des apports majeurs de ce recueil d’essais de Michael Löwy, aux thèmes très divers (surréalisme, Paris et l’urbanisme moderne, messianisme juif, etc.), est de montrer la lecture critique et pour le moins hétérodoxe de la pensée marxiste chez Walter Benjamin. Celui-ci n’est devenu véritablement marxiste qu’à partir de 1924, essentiellement après sa lecture du livre majeur de György Lukács, Histoire et conscience de classe (1923). Mais Benjamin n’abandonnera jamais « la dimension anarchiste de son horizon intellectuel », plus ancienne. C’est pourquoi Michael Löwy travaille aussi sur certains de ses « écrits politiques prémarxistes », comme celui fortement influencé par Max Weber intitulé Le Capitalisme comme religion (1921), « parfaitement étranger, sinon hostile, à Marx ».

Plus importante encore est l’analyse critique par Benjamin des notions de progrès et de révolution, à rebours de la conception téléologique de l’histoire défendue notamment par la bureaucratie stalinienne. Benjamin est ainsi « un des rares marxistes avant 1945 à proposer une critique radicale du concept d’“exploitation de la nature” ». Et, dans une sorte d’intuition écologique, voire « écosocialiste », le philosophe allemand écrit : « Marx avait dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale. Mais il se peut que les choses se présentent tout autrement. Il se peut que les révolutions soient l’acte, par l’humanité qui voyage dans ce train, de tirer les freins d’urgence. » Ce court passage, qui figure dans les textes préparatoires aux Thèses sur le concept d’histoire mais non dans leur version finale, permet ainsi à Michael Löwy de présenter un autre Benjamin, jamais lu de la sorte, précurseur d’une écologie radicale qui eut une « prémonition des monstrueux désastres dont pouvait accoucher la civilisation industrielle/bourgeoise en crise ». Et, ajoute Löwy, « si Benjamin rejette les doctrines du progrès inévitable, il ne propose pas moins une alternative radicale au désastre imminent : l’utopie révolutionnaire ». Michael Löwy nous invite donc à (re)lire Benjamin, analyste pionnier des grands problèmes contemporains, avec nos lunettes du XXIe siècle.

La révolution est le frein d’urgence. Essais sur Walter Benjamin Michael Löwy, Éditions de l’Éclat, 168 pages, 18 euros.

Idées
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