Croissance, monnaie et écologie

Si nous voulons atteindre l’objectif de l’accord de Paris, il faut changer de modèle de croissance ou décroître.

Jérôme Gleizes  • 27 mars 2019 abonné·es
Croissance, monnaie et écologie
© photo : PHILIPPE HUGUEN / AFP

Dans toutes les économies monétaires, il existe une relation entre croissance et monnaie, souvent appelée « théorie quantitative de la monnaie ». Cette relation a été présentée dès le XVIe siècle par Martín d’Azpilcueta, mais aussi par Nicolas Copernic, Jean Bodin et d’autres auteurs. Elle lie la consommation et la production. Toute production (Q) est vendue à un prix (P), donc échangée contre de la monnaie (M). Une même monnaie peut servir à plusieurs échanges (v), d’où la relation Mv = PQ. D’un point de vue macroéconomique, PQ, c’est le PIB, donc la richesse produite en une année. Toute croissance nécessite alors un accroissement de la monnaie à court terme si on considère que v, fonction des habitudes de paiement, est stable. Les libéraux ont transformé cette relation tautologique en équation pour critiquer les interventions publiques en prétextant que toute politique monétaire entraîne in fine de l’inflation et non de la croissance.

Pour aller plus loin, sachant qu’il y a création monétaire chaque fois qu’un acteur économique demande un crédit, pour qu’il y ait de la croissance, il faut mécaniquement une hausse de la dette privée ou publique. Avec un petit bémol : il ne faut pas confondre la monnaie qui circule entre les agents économiques, la « masse monétaire », et celle qui circule entre les banques, la monnaie centrale ou base monétaire. Cette dernière a tendance à être inflationniste, surtout depuis la crise de 2008, avec une hausse des actifs financiers indépendamment de toute réalité économique. Les banques privées ont été sauvées de la faillite des investissements productifs.

Il existe également une relation tautologique entre croissance et écologie avec les équations de Kaya et d’Ehrlich (1), qui décomposent l’émission des gaz à effet de serre (GES) selon le contenu carbone du modèle énergétique, l’intensité énergétique du modèle de croissance, le niveau de vie moyen de la population et le nombre d’habitants sur la planète. Si nous voulons atteindre l’objectif de l’accord de Paris (1,5 °C de réchauffement), il faut changer radicalement de modèle de croissance ou décroître, sinon la décroissance sera imposée par l’amplification des crises écologiques.

Il n’existe pas de solution capitaliste à la crise, car le capitalisme, qui repose sur une accumulation infinie du capital, bute sur l’épuisement des ressources et sur les conséquences de l’émission excessive de GES. Il interdit le nécessaire découplage entre la production de richesse et l’émission de gaz à effet de serre. À cela s’ajoute le problème de l’effet rebond, qu’oublient les tenants de la croissance verte. Améliorer l’efficience d’une technologie ne suffit pas. Il faut réduire le volume global de consommation des ressources non renouvelables, or c’est souvent le contraire qui se produit. Stanley Jevons a montré par exemple que la consommation anglaise de charbon a fortement augmenté après que James Watt a inventé la machine à vapeur (2).

(1) « La difficile équation énergétique », Jérôme Gleizes, VRS n° 391, 2012.

(2) « La croissance verte est-elle possible ? », Jérôme Gleizes, in Pour en finir avec ce vieux monde. Les chemins de la transition, Utopia, 2011.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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