Le printemps sera climatique et social

Avec l’agrégation de nombreux pôles en lutte, la grève scolaire et la « Marche du siècle » des 15 et 16 mars s’annoncent des mobilisations historiques pour la justice climatique, sociale et fiscale.

Patrick Piro  et  Oriane Mollaret  • 13 mars 2019 abonné·es
Le printemps sera climatique et social
© photo : À la marche des jeunes pour le climat, le 1er mars à Paris. crédit : JACQUES DEMARTHON/AFP

Belgique : les jeunes poussent les Écolos

Les écoles belges sont parmi les plus actives d’Europe dans la participation à la grève pour le climat. La mobilisation hebdomadaire (le jeudi) a mis jusqu’à 70 000 personnes dans la rue. Et la préoccupation s’est imposée comme prioritaire dans la séquence politique majeure que vit la Belgique, car on y votera le 26 mai pour élire les députés européens, mais aussi fédéraux et régionaux. La mobilisation se traduit nettement dans le dernier sondage : à l’échelon fédéral, il attribue au parti francophone Écolo 16,8 % des intentions en Wallonie et 19,9 % à Bruxelles, et 15,6 % pour son pendant néerlandophone Groen dans les Flandres. Non seulement le bloc écologiste doublerait ses résultats de 2014, mais il deviendrait surtout la première force du pays, avec 29 sièges fédéraux (sur 150), contre 12 actuellement. Et donc en mesure de piloter la formation du prochain gouvernement.

Comme les récentes élections l’ont montré en Autriche ou en Allemagne, les écologistes se montrent les plus aptes à faire barrage aux nationalistes d’extrême droite (N-VA). Qui pourraient devancer le bloc écologiste de justesse, mais seraient trop justes pour constituer une majorité avec la droite, montre le sondage. Les écologistes, qui ont déjà récusé toute coalition avec la N-VA, resteraient donc maîtres du jeu, gardant de bonnes chances de parvenir à une majorité en s’alliant avec la gauche et le centre. La Belgique dirigée par un Premier ministre vert : le coup de tonnerre aurait des répercussions à l’échelle européenne.

Patrick Piro

Bravant la pluie et le vent, près de 1 500 personnes ont défilé samedi 9 mars dans les rues de Metz, pour la protection des insectes, des oiseaux et plus largement de la biodiversité. Abandon des pesticides et lutte climatique : Victor, 14 ans, scande les slogans. C’est lui qui a lancé l’appel pour cette marche, dont le succès a dépassé les attentes, coalisant en particulier 80 organisations locales. Très posé, il se prête aux entretiens avec une étonnante maturité. « Et aujourd’hui, es-tu en colère ? As-tu peur ? », conclut un journaliste (1). « C’est la tristesse d’abord, répond Victor. D’être assis sur un tronc d’arbre en forêt et de se dire que tout ce qu’on voit, tout ce qui vit autour de soi, un jour ne sera peut-être plus là. »

Greta, Anuna, Luisa, Romain, Ysée… Depuis quelques semaines, une génération collégienne et lycéenne se dresse à la pointe du débat sur l’avenir de la planète (2), avec une conscience et une détermination dépourvues de concession. « Et vous pensez qu’on pourra acheter une nouvelle planète avec de l’argent ? », lance Charlie, 14 ans, face à Emmanuel Macron jeudi 8 mars, à Gréoux-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), lors d’une des étapes de son grand débat.

Charlie et les autres préparent activement le grand rendez-vous du vendredi 15 mars : c’est jour de grève mondiale de la jeunesse pour le climat, point culminant de l’appel à « sécher » les cours le vendredi lancé en août dernier par la jeune Suédoise Greta Thunberg. Car « pourquoi devrions-nous étudier pour un futur qui n’existera bientôt plus, alors que personne ne fait rien pour le sauver ? », demande-t-elle aux décideurs qu’elle rencontre, depuis, un peu partout en Europe.

Lundi dernier, plus de mille grèves scolaires étaient annoncées dans une cinquantaine de pays. En France, des actions se préparent dans quelque 160 villes, médiatisées par les réseaux sociaux. À Metz, c’est à l’initiative d’un certain Wild Fox, qui a barré l’image de son profil Facebook d’un bandeau « J’attaque l’État français en justice ». La référence : le recours déposé jeudi 14 mars par quatre associations dénonçant l’inaction climatique du gouvernement (lire ici), et soutenues par quelque 2,2 millions de signataires de leur pétition « l’Affaire du siècle ». L’estampille a déteint sur le point d’orgue français de cette semaine singulière. Samedi 16 mars, plus de 150 organisations appellent à déployer une vaste « Marche du siècle », répercutée dans plus 170 villes sur tout le territoire (3).

« Nous sommes à l’aube d’un nouvel altermondialisme fondé sur la lutte climatique et l’engagement radical de la jeunesse », estime Vincent Gay, militant écologiste du syndicat FSU. En France, les jeunes se sont mis en branle mi-février, en particulier à l’initiative de l’Assemblée générale inter-fac d’Île-de-France. La grève du vendredi a pris de l’ampleur avec la venue à Paris, le 22 février, de Greta Thunberg et de plusieurs figures adolescentes des mobilisations belges, allemandes, suisses, luxembourgeoises, anglaises… « Ça bouge énormément, et partout ! Il y a seulement un mois, on recensait moins de trente mobilisations pour le 15 mars, témoigne Hugo Viel, l’un des coordonnateurs en France du mouvement international Youth for Climate (Jeunes pour le climat). Nous recevons des dizaines de sollicitations par jour pour des conseils d’organisation. Il n’y a pas de standard, chaque initiative locale est totalement indépendante et décide de la forme qu’elle va prendre. C’est à la bonne franquette, et ça fonctionne ! » À Lyon, à Bordeaux ou à Nantes, s’organisent des pique-niques géants « zéro déchet ». À Paris, une marche est annoncée du Panthéon aux Invalides.

Les principaux syndicats lycéens sont engagés, « et au-delà de leurs établissements », relève Marie Toussaint, cofondatrice de Notre affaire à tous, à l’origine du recours contre l’État français. « Les étudiants, qui avaient disparu après une grosse activité lors de la COP 21 à Paris fin 2015, sont revenus avec une grande détermination. » Issu des facultés, des lycées et des associations franciliennes de jeunes, les « Camille de la grève de la jeunesse pour le climat » administrent chaque semaine une « leçon de climat » (4) accompagnant la grève scolaire d’actions de « désobéissance ». Soutenu par Youth for Climate, un groupe de jeunes a écrit au président de la République pour l’inviter à débattre lors d’un direct télévisé avec eux le 15 mars. « Les jeunes générations ont besoin de comprendre clairement votre position, et de vous soumettre les leurs. » En début de semaine, une délégation européenne de jeunes, menée par Greta Thunberg, était reçue au Parlement européen avec des intentions similaires.

Le mouvement draine dans son sillage des acteurs majeurs du monde de l’enseignement. La FSU, qui en est la première fédération syndicale, appuie les étudiants depuis le début, tout comme Solidaires. Les deux organisations ont déposé un préavis de grève pour le 15 mars. Plusieurs branches de la CGT appellent « à soutenir », comme à la CFDT, dont le secrétaire général, Laurent Berger, coprésentait avec Nicolas Hulot, le 5 mars dernier, un « nouveau pacte politique, social et écologique » élaboré par 19 organisations importantes. « Et même si la participation effective des centrales syndicales à la grève devrait rester symbolique, dans un calendrier social très chargé, toutes prennent en compte l’événement, signale Vincent Gay. Les mobilisations climatiques sont entrées dans nos cultures militantes. »

Le jeune collectif des Enseignant·es pour la planète, très mobilisé auprès des « grévistes dans la rue ou non-grévistes dans les classes », dénonce l’initiative de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation, qui vient d’annoncer in extremis l’organisation de débats sur le climat le 15 mars dans tous les lycées. « Au mieux une opération de communication, et au pire une tentative d’affaiblissement de la mobilisation en cours, visant à empêcher notre jeunesse de se fédérer autour des questions écologiques qui détermineront son avenir ! » La FCPE soutient la grève et demande aux chefs d’établissement de ne pas sanctionner les élèves qui y prendraient part. « Nos enfants sont en avance sur les politiques et nous serons à leurs côtés », affirme-t-on à la fédération de parents d’élèves, dénonçant pour l’occasion la réforme du secondaire qui ne propose une option « environnement » que pour les lycées agricoles.

Le monde de la recherche se manifeste aussi, à l’image de ces tribunes radicalement « pro-15 mars » issues de quelque 300 signataires belges, français et suisse ou de l’Atelier d’écologie politique de Toulouse (5). La climatologue Véronique Masson-Delmotte, coprésidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), appuie résolument cette jeunesse qui la rejoint dans la conscience de l’urgence à agir, « impressionnée, dit-elle, par la profondeur de la réflexion de Greta Thunberg, qui a complètement intégré le changement climatique et ses enjeux dans sa manière de voir les choses (6) ».

Nombre de grévistes du 15 mars seront dans la rue le lendemain pour la Marche du siècle, prévoit Hugo Viel. Aux côtés des mouvements écologistes se retrouveront plusieurs organisations de solidarité internationale. Car le dérèglement climatique affecte d’abord les plus vulnérables, désormais une cause majeure de l’accroissement de la pauvreté et des migrations dans les pays du Sud, expliquent Oxfam ou SOS Racisme. « Le grand débat national montre que les personnes précarisées se soucient de leur impact sur l’environnement, souligne-t-on au Secours catholique. Il faut parvenir à une transition juste, conjuguant la satisfaction des besoins essentiels pour tous, et la limitation de l’empreinte écologique globale. » Moins attendu, le Secours islamique affirme : « Nous sommes très inquiets de la raréfaction des ressources en eau, qu’aggrave significativement le dérèglement dans les régions où nous intervenons. » L’ONU place le développement durable au deuxième rang des facteurs de paix, rappelle Édith Boulanger, porte-parole du Mouvement pour la paix. « On évoque peu les émissions militaires, mais avec la consommation des chars, des avions, etc., le Pentagone est le plus gros pollueur au monde, sans parler des déchets des armes nucléaires ! »

La proximité de la journée du 8 mars donne une visibilité supplémentaire aux mouvements féministes, qui intègrent de plus en plus souvent la dimension écologique dans leurs luttes. Nous toutes a rebaptisé des rues de Paris du nom de militantes écologistes, Ni putes ni soumises participe à la marche du 16 mars, tout comme les principaux partis politiques de gauche et de l’écologie (FI, EELV, PS, PCF…), discrets, de même que dans leur soutien à la grève scolaire. À Paris, des mouvements artistiques comme Le Consultat ou Give a fuck (techno parade) accompagneront la marche principale, qui circulera d’Opéra à République, ainsi que des cortèges thématiques (biodiversité, état d’urgence climatique et social, modes de transport doux) qui rallieront la place à partir d’autres points. En début de semaine, la page Facebook de la Marche du siècle comptait 130 000 personnes inscrites.

« Avec l’entrée en scène des jeunes, la montée d’une génération qui fait de la sauvegarde de la planète une question centrale, l’élargissement des mobilisations et leur radicalité, les batailles que nous menons depuis quatre décennies sont en train de prendre une tournure nouvelle, gagnant de vitesse les organisations écolos historiques », analyse Marie Toussaint. « Nous sentons monter une radicalité tranquille, traduit Marie Pochon, qui se construit depuis septembre dernier avec la multiplication des marches climatiques, la grève scolaire, des actions de désobéissance non-violentes comme le décrochage de portraits de Macron dans les mairies pour dénoncer son inaction écologique, etc. »

Mais la dimension la plus novatrice du 16 mars pourrait être la convergence, pour un acte commun, de la Marche du siècle avec une marche des solidarités contre les violences policières, point de ralliement de l’acte 18 des gilets jaunes, mais aussi de militants du Collectif justice et vérité pour Adama Traoré, de mouvements de migrants, de blessés par les forces de l’ordre, etc. Un premier rapprochement « gilets verts et jaunes » avait été amorcé le 10 décembre dernier. Il devrait être beaucoup plus probant samedi prochain. « Nous espérons que cette convergence nous permettra de durcir le rapport de force avec le gouvernement », commente Élodie Nace, d’Alternatiba. Un « printemps climatique et social » en gestation, espèrent les organisateurs d’une conférence de presse commune tenue mardi 12 mars. « Nous sommes tous concernés par la fin du monde », lance Anzoumane Sissoko, porte-parole de la Coalition internationale des sans-papiers et migrant·es. « Des mouvements que l’on opposait travaillent aujourd’hui ensemble, se félicite Priscillia Ludosky, l’une des initiatrices du mouvement des gilets jaunes. Nous sommes en train d’établir la cohérence et le lien entre la transition écologique, la justice sociale, et désormais la question démocratique. J’entends dire que notre mouvement s’essouffle. Je crois au contraire qu’il grandit. »

(1) Le Républicain lorrain, 25 février.

(2) Lire Politis n° 1542, 28 février

(3) ilestencoretemps.fr

(4) À lire sur le site de Reporterre.net.

(5) Respectivement dans Le Soir, 20 février, et Le Monde, 5 mars.

(6) Entretien dans GoodPlanet Info, 11 mars.

Écologie
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