Ringard, Marx ?

Dans l’un de ses derniers textes, Léon Trotsky livre un décryptage du système capitaliste qui apparaît extrêmement contemporain.

Olivier Doubre  • 13 mars 2019 abonné·es
Ringard, Marx ?
© Statues de Marx et d’Engels à Berlin, en Allemagne.Markus C. Hurek/DPA/AFP

La propagande et l’hégémonie néolibérales nous ont habitués, depuis près d’un demi-siècle, à appréhender Marx et le marxisme comme appartenant à un âge lointain et à une idéologie définitivement déconsidérée par l’histoire. Certes, le « socialisme réel », stalinien et/ou maoïste, et son cortège de déportations, répressions arbitraires et assassinats de masse en sont assurément la cause. Doit-on pour autant cesser de lire Marx (et Engels) ? Leur analyse du capitalisme est-elle si archaïque et intrinsèquement criminelle ? Relève-t-elle définitivement d’une vision profondément datée du système économique ? Enfin, un texte de 1939 présentant un choix d’extraits du « Livre » premier du Capital aurait-il encore un intérêt pour un lecteur de 2019 ?

C’est bien ce qui apparaît à la lecture de cette introduction à la sélection de parties du Capital, maître ouvrage de la théorie marxiste, choisie par Trotsky. C’est l’un des tout derniers écrits de l’opposant historique à Staline, qui, après avoir été le fondateur et l’implacable chef de l’Armée rouge au lendemain de la révolution d’Octobre 1917, vient à peine de fonder la Quatrième Internationale, alors que le fascisme menace aux quatre coins de la planète. Acquiesçant à la demande de l’éditeur Alfred O. Mendel de la maison new-yorkaise Longmans, Green & Co. pour sa collection intitulée « Les pensées vivantes », Trotsky propose alors une présentation de Marx qui, quatre-vingts ans après sa rédaction, semble plus actuelle que jamais !

Après un bref exposé sur l’histoire des rapports économiques, Trotsky commence par mettre en lumière « la méthode de Marx », pour qui « l’histoire du développement de la société humaine est l’histoire de la succession de systèmes économiques variés, chacun fonctionnant selon ses propres lois ». Puis il montre combien, à partir des théories de « l’économie politique classique » d’Adam Smith et de David Ricardo, « l’erreur fondamentale de l’économie classique consistait en ce qu’elle voyait le capitalisme comme l’existence normale de l’humanité, au lieu de le considérer simplement comme une étape historique dans le développement de la société ».

Trotsky nous incite à lire et à analyser les rapports économiques au sein de la société contemporaine en faisant fi « d’une simple description des faits économiques, d’une étude de l’économie ancienne et, ce qui est bien pire, d’une falsification complète des choses telles qu’elles sont, dans le but de justifier le système capitaliste ». Et il souligne combien la propagande, aujourd’hui néolibérale, s’est insinuée au plus profond des consciences, jusqu’à paraître pour beaucoup, comme la conception « naturelle » des rapports dans la société. « La doctrine économique qui est enseignée de nos jours dans les institutions officielles et prêchée dans la presse bourgeoise ne manque pas de faits importants, mais elle est absolument incapable d’envisager le processus économique comme un tout et de découvrir ses lois et ses perspectives, et elle n’en a pas non plus le désir. » Désuet, dites-vous ?

Marx Léon Trotsky, Buchet/Chastel, 256 pages, 14 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes