Edmond Simeoni, « U babbu » de la nation corse

Après de longs entretiens avec Edmond Simeoni, Anne Chabanon livre une biographie mémorielle et intime du « père » de la revendication autonomiste.

Olivier Doubre  • 24 avril 2019 abonné·es
Edmond Simeoni, « U babbu » de la nation corse
© crédit photo : PASCAL POCHARD-CASABIANCA/AFP

Août 1975. Aleria, plaine orientale corse. L’une des plus grosses fermes viticoles, attribuée à un ancien pied-noir après son « rapatriement » d’Algérie en 1962, produit de manière intensive sur fond de trafics que les autorités préfèrent ne pas voir. Les viticulteurs corses s’estiment victimes de cette « colonisation agricole menée par la France ». Armés de fusils de chasse, une douzaine de militants, emmenés par Edmond Simeoni, dirigeant de l’Action régionaliste corse, occupent la ferme. Mais l’État choisit la manière forte : la ferme est encerclée par 2 000 gendarmes et des blindés, l’assaut est donné, les militants répliquent. Deux gendarmes sont tués, un autonomiste a un pied arraché. Malgré une campagne de presse en sa faveur, et le succès d’un livre, Le piège d’Aleria, écrit par sa femme Lucie, celui qui devient dès lors « u babbu » (le père) de la revendication nationaliste corse écope de cinq ans de prison (dont deux avec sursis) par la Cour de sûreté de l’État, juridiction politique d’exception. Quand il est libéré au bout de 18 mois, la Corse a bien changé. Le FLNC, mouvement armé clandestin, est né en 1976, et une « officine de police parallèle » du nom de Francia, liée au SAC, service d’ordre barbouzard du RPR, multiplie les attentats contre les militants nationalistes.

Décembre 2015 : le fils d’Edmond, Gilles Simeoni, devient le premier président autonomiste de la Collectivité territoriale de Corse. Se souvenant de l’autocritique de son père, prononcée en 1987 au théâtre de Bastia, où celui-ci exprime ses regrets des morts advenues à Aleria et son refus, depuis, de la violence, Gilles a repris le flambeau et gagné un large soutien dans l’électorat. Une nouvelle ère s’ouvre alors en Corse, après 40 ans de lutte et quelques victoires, notamment sur la reconnaissance de la langue, la réouverture de l’université de Corte, une décentralisation étendue. Mais aussi l’apprentissage d’une démocratie locale digne de ce nom, débarrassée pour une bonne part des logiques claniques, et l’affirmation d’une conception ouverte du peuple corse « qui doit être une communauté de destin », sans fixations identitaires et fermement antiraciste.

Journaliste politique au quotidien Corse-Matin où elle couvre les nationalistes, Anne Chabanon a fait œuvre d’historienne, au gré d’entretiens approfondis, jusqu’à deux semaines avant la disparition d’Edmond Simeoni, le 14 décembre 2018. Car il lui a accordé pleinement sa confiance : « Il avait désormais le désir de se raconter plus intimement. » À près de 85 ans, il décida donc, par ce « récit en co-construction », de se retourner sur ces longues « années de passions corses », avec la volonté de faire là un ultime « acte militant ». En soulignant le caractère de ce projet : « Quand on fait des mémoires, tout est contenu dans chaque combat que vous avez mené »

Les Mémoires d’Edmond Simeoni Anne Chabanon, Flammarion, 400 p., 21 euros.

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