Yvan Le Bolloc’h, guitare au poing

Dans la préparation d’un nouvel album flamenco, l’artiste et auteur, également connu comme comédien et animateur de télévision, poursuit un travail intimement lié à l’engagement.

Jean-Claude Renard  • 17 avril 2019 abonné·es
Yvan Le Bolloc’h, guitare au poing
© photo : Guitariste autodidacte, Yvan Le Bolloc’h est arrivé sur le tard à la musique, par défi amoureux et passion pour les Gitans.crédit : Romain Sanchez

E speranza. Tel est le titre du nouvel album du groupe Ma guitare s’appelle reviens, porté par Yvan Le Bolloc’h. Chant, cordes, basses et percussions. Comme les précédents, un disque de rumba flamenca, cette variété de flamenco rythmée en quatre temps. « C’est la varièt’ la plus populaire, celle qui a aussi fait les plus grands succès de Paco de Lucia », s’enthousiasme le musicien depuis sa péniche amarrée sur un quai de la Seine, saisissant sa guitare pour une démonstration.

Esperanza, enregistré à Sérignan, près de Béziers, ce sont dix morceaux riches d’influences qui vont des Gipsy Kings à Sting en passant par Barry White. « Ça reste des guitares en bois et des chanteurs en or. Après, la réalisation d’un album, c’est toujours un miracle, des compositions qui nous sont arrivées comme des cadeaux. » L’autre miracle pourrait venir du mode de production : « On aurait pu se lancer dans un crédit forain ou privatiser les Aéroports de Paris, finalement on a choisi la plateforme Ulule (1) pour un financement participatif par des camarades investisseurs prêts à lever la main pour une musique de bohémiens. »

Pour qui est arrivé sur le tard à la musique, par défi amoureux, quand il a rencontré sa femme, Anouchka, alors comédienne, musicienne, danseuse et chanteuse, il y a trente ans, pour qui s’appelle Le Bolloc’h, patronyme fleurant le granit et les embruns, on peut se demander pourquoi la rumba flamenca, pas vraiment chouchen comme musique. « Certes, mais le Breton est voyageur ! répond l’artiste. Ce qui m’attache, c’est le frisson, l’émotion, ce mélange de rage et de mélancolie qui se dégage comme la dernière fierté d’un peuple ostracisé, relégué à la périphérie de nos vies et de nos villes. Et j’ai choisi la guitare sans doute parce que, pour ma mère, la musique, c’était Elvis et la guitare. » Non sans mal au début : il est arythmique. « Je suis parti du fond du couloir ! » Mais, obstiné façon Breton, l’autodidacte s’accroche.

Yvan Le Bolloc’h est né à Brest en 1961, dans le quartier populaire de Saint-Marc. Un quartier de béton austère, avec grises façades suintant l’humidité, survolé par les mouettes, maillé de marins en goguette, de prostituées dont le mouflet est le chouchou quand il descend du 5e étage pour aller chercher son lait ribot. Son père est ouvrier du livre, chef de fabrication, militant communiste, délégué syndical à la CGT, sa mère a été coiffeuse avant de raccrocher les ciseaux. Puis la famille suit le père en banlieue parisienne, à Villemomble, celui-ci travaillant notamment aux éditions La Farandole et à L’Aurore (croisant alors Pierre Desproges), avant de quitter le quotidien quand on lui demande de réorganiser le travail avec moins de personnel.

Nouvelle installation à Bar-le-Duc. Chaque dimanche, Yvan accompagne son père vendre l’Huma, assis sur le devant de la bécane, sillonnant les marchés. Il n’y a guère de flèches dans la turne. Le mouflet apprend à chiper dans les magasins avec sa mère, de quoi croûter, mais aussi écouter de la musique en fauchant la première chaîne stéréo Philips. « On sortait du magasin en méprisant les caisses. C’est vite devenu du vol à l’échelle industrielle ! » Encore faut-il courir fissa. Quand mère et fils se font gauler, c’est la prestance paternelle qui sauve la baraque.

À l’adolescence, l’apprenti chouraveur Le Bolloc’h suit une formation de photographie, se passionne pour la philosophie et l’histoire, additionne les jobs d’été. À 16 ans, il est à la chaîne chez Renault, aux trois-huit, de nuit, à enquiller des durites dans des carburateurs. « J’ai compris là tout ce qui me reliait et me relie encore à la classe ouvrière, mon intérêt pour les minorités, quand on bosse l’œil rivé sur la pendule à côté d’un chibani esseulé, qui va faire ça toute sa vie, j’y ai senti toute la fierté d’être ouvrier. Tout ce que j’avais entendu gamin se réalisait là. » Un autre boulot intérimaire l’entraînera dans la production chez Fiat, où il ne se prive pas de chiper phares antibrouillard et bougies.

Bac en poche, Yvan Le Bolloc’h choisit l’indépendance, au moins pour financer sa passion pour le motocross (qui le conduit avec une 125 cm3 sur tous les circuits de l’Hexagone), réussit facilement le concours de l’école normale d’instituteurs. Dans la famille, l’enseignement est considéré comme un graal. Aussitôt, le jeune maître est plongé dans les suppléances, sans formation, sans expérience pédagogique. « J’ai dû inventer mon métier de gardien d’enfants, suivant les manuels scolaires », se souvient-il encore. Il débarque dans les écoles avec ses Doc roses et ses chemises hawaïennes. S’il fascine les gamins, sa tenue et sa pédagogie passent mal auprès des blouses grises. Il a beau résister aux pires assauts des pires conneries des stigmates de la Guerre des boutons, dans la crainte de l’aigreur à venir, il fait « le deuil du don de soi », finit par lâcher l’Éducation nationale après quelques années.

Vont s’enchaîner les petits boulots. Cent métiers, cent misères. Vendeur de brosses à reluire à la Foire de Paris, de grillage au mètre, animateur de soirées à thème ou encore caddie au golf de Garches. Expérience enrichissante de larbin. « Parce qu’on est d’abord entassé dans un abri pour jardin avant d’être choisi sur un claquement de doigts par un chef de caddie au service de la clientèle. On se pelait pour cinquante francs à ramasser les balles d’un bourgeois qui jouait comme un sagouin, des balles qu’il fallait aussi aller chercher n’importe où, même tombées dans l’eau, en dehors du parcours. Là, on sent le mépris de classe. »

Après quoi, Yvan Le Bolloc’h tente une école d’attachés de presse. Au gré des rencontres, on lui propose un poste de reporter à la radio Top Tonic, pêle-mêlant sport et musique. Premiers flashs, premiers commentaires de matchs divers. Il suit une bande de potes en Andorre pour un studio de photographies sur les pistes de ski. Au retour, après un accident de moto, des mois d’hôpital, il fait la promo de mountain bikes l’été pour des stations de ski, trouve de quoi marner par hasard à Europe 1, payé au black, assistant de production de Jean-Luc Delarue quand celui-ci n’est pas encore bouffé par sa mégalomanie.

Les échelons se succèdent. L’encore fringant Le Bolloc’h anime un jeu sur la culture télévisuelle (« Télé Zèbre », sur Antenne 2), rencontre Bruno Solo, présente avec lui sur Canal + deux émissions musicales, le « Top 50 » et le « Plein de super », clin d’œil au film d’Alain Cavalier, tourné dans un break Chevrolet. En 1999, il change de cap : premiers pas au théâtre avec Un barrage contre le Pacifique, de Marguerite Duras. D’autres pièces s’ajoutent au répertoire, de Tristan Bernard à Georges Feydeau. Quelques années en arrière, il avait reçu la visite de Maurice Pialat pour tenir le rôle du Garçu. Le producteur Daniel Toscan du Plantier insiste, il refuse. « J’ai fait ma délicate, je ne savais pas jouer. » Faut savoir ce qu’on vaut. Le temps a passé avant qu’il soit séduit par les planches. « J’attends du théâtre un texte, une histoire, une promesse, ce fameux miracle. »

En 2001, autre tournant. Le comédien crée avec Bruno Solo un programme court, « Caméra café », comédie satirique autour du monde du travail diffusée sur M6. Succès immédiat, ponctué par deux adaptations au cinéma (2), qui durera quatre saisons pour sept cent cinquante épisodes. De quoi porter un regard sur la télévision en général : « Toutes les chaînes appartiennent à des oligarques qui n’ont pas d’autre objectif que celui d’occuper le temps de cerveau disponible. Toutes les émissions se ressemblent, sans auteur, sans inventivité. On est passé de la création à Cyril Hanouna. Et moi-même je ne me sens pas très propre parce que, dans la chaîne qui a popularisé “Caméra café”, il y avait une entreprise de décérébration avec la télé-réalité. Sans le succès, on aurait dégagé. »

Réalisateur, comédien, musicien, troubadour. Plusieurs casquettes pour qui n’en porte pas, avec maintenant une épaisse crinière poivre et sel. Il en ajoute une en montant son groupe en 2005, à la suite d’un film tourné sous la houlette de Jean-Pierre Mocky en compagnie de deux musiciens gitans, Yannis Patrac et Patrick Baptiste. Albums à la clé (3), spectacles itou : Tous les chemins mènent aux Roms et Faut pas rester là ! « À chaque fois, il s’agit de déconstruire les clichés sur les gens du voyage, en grossissant les traits de ces minorités. » Toujours cette histoire en lui de minorité, « sans doute parce que lui-même se sent en minorité », observe sa femme, Anouchka.

Entre téléfilms, cinéma et théâtre, en 2007, Yvan Le Bolloc’h s’affiche en soutien de Ségolène Royal au meeting de l’entre-deux-tours. « C’était la première fois qu’une femme pouvait être élue présidente de la République, elle-même opposante au sein de son propre parti en tant que femme ; ensuite, c’est Sarko en face ; enfin, il faut reconnaître qu’elle a su habilement venir nous chercher », se justifie le touche-à-tout, reconnaissant ne pas savoir « parler de politique sans s’énerver et devenir tout rouge ». Pour un fils de communiste, ce n’est peut-être pas si grave. « Ça donne une indication ! » Pour autant, on ne le voit plus guère sur le petit écran. « Quand on est droit, il y a un prix à payer. »

Avec un goût prononcé pour les manifs, les rassemblements populaires et les meetings (ceux de Jean-Luc Mélenchon en 2017, sans être fan de ce qu’est devenu « le personnage »), Le Bolloc’h ne pouvait échapper au mouvement des gilets jaunes. Depuis novembre dernier, il suit certains ronds-points pour comprendre « les feux de palettes ». Qui est qui, qui veut quoi ? En mars, il accompagnait François Ruffin présenter son documentaire J’veux du soleil sur un terre-plein occupé. « J’y ai vu des précaires, des punks à chien, des assistantes maternelles, des retraités, du personnel hospitalier, de tous les partis ou pas, mais dans une haine de Macron, une haine installée par strates, pas forcément de gens qui votent à l’extrême droite, et qui savent parfois qu’on a un gouvernement qui salit un idéal, celui de l’écologie. Or c’est bien ce qui compte. » Et c’est aussi ce qui le motive politiquement aujourd’hui. Le 24 avril, il jouera à Florange. Le poing levé.


(1) https://fr.ulule.com/yvan-le-bolloch-ma-guitare-4eme/

(2) Espace détente (2005) et Le Séminaire (2009).

(3) Ma guitare s’appelle reviens (2006) ; Fiers et susceptibles (2009) ; La Manoucherie royale (2013).

Faut pas rester là ! théâtre de la Passerelle, Florange, le 24 avril.

Esperanza Yvan Le Bolloc’h & Ma guitare.

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