« Fauves », de Wajdi Mouawad : des blessures jamais guéries

Dans Fauves, tragédie mêlant futur et passé, Wajdi Mouawad change de style narratif mais garde son langage amoureux des êtres humains.

Gilles Costaz  • 14 mai 2019 abonné·es
« Fauves », de Wajdi Mouawad : des blessures jamais guéries
© crédit photo : Didier Bizet/Hans Lucas/AFP

À propos de sa nouvelle pièce, Fauves, Wajdi Mouawad nous dit qu’il a changé d’écriture. Dans sa longue quête d’une langue et d’une structure adaptées à la mise en forme de ses hantises, il précise être arrivé à une création en « double hélice » et à « construire dans la déconstruction ». C’est vrai, en effet, que des scènes se répètent à l’identique, jusqu’à ce que quelques détails les fassent résonner différemment, comme chez Fosse ou Zeller, et – cela est réalisé d’une manière plus inédite – que l’histoire avance en même temps dans le futur et dans le passé. Pourtant, nous retrouvons partiellement le Mouawad ­d’Incendies, des sagas qui déroulent les violences guerrières et sociales du monde contemporain avec la volonté de donner une dimension ample et romanesque à la forme de la tragédie telle que l’avaient fixée les Grecs de l’Antiquité.

Au centre de la pièce, un cinéaste dont la vie se passe à la fois à Montréal et à Paris. Il a des relations difficiles avec son ­entourage et ses acteurs. L’« hélice » du récit nous fait remonter à sa mère, à son père et à une galerie de personnages. Il y a eu, dans cette génération, le passage d’une femme à l’autre et, à l’origine de la souffrance de tous, un viol dont la violence traumatique se transmet comme une malédiction dont on ne triomphe jamais. Il y a eu des trahisons terribles et deux enfants changés de foyer à leur naissance.

Dans l’autre direction de l’hélice, il y a le fils du cinéaste, qui devient cosmonaute à la station spatiale de Baïkonour. La soirée, qui nous balade entre l’Amérique, l’Europe et le Kazakhstan, s’achève dans la stratosphère, avec un astronaute et le disque bleu de la Terre dans un ciel nocturne. Mais c’est bien vite résumer une histoire infiniment complexe, où cinquante années d’annales contemporaines sont traversées dans divers sens et où l’amour et la cruauté empruntent des cheminements et des expressions inattendus, contournés et perçants comme le mouvement d’une vrille.

Dans son langage amoureux des êtres humains, qu’interrompent régulièrement des cris primaux, le grand Mouawad est toujours là, avec sa superbe maîtrise d’un plateau toujours en mouvement. Mais le spectacle, bien trop long, devient peu à peu éprouvant pour le spectateur, à cause non pas de sa structure, mais de son abondance, de ses répétitions, de ses naïvetés.

L’équipe d’acteurs est largement franco-québécoise, mais pas seulement. C’est l’un des plaisirs du spectacle : Jérôme Kircher et Norah Krief jouent entre l’absence brisée et la présence furieuse avec des partenaires d’une même puissance, Gilles Renaud et Hugues Frenette. Il faut citer aussi Julie Julien, Reina Kakudate, Lubna Azabal… Ce côté cosmopolite de théâtre composé avec toute notre humanité est l’une des autres marques de l’auteur, que l’on retrouve avec plaisir. Mais l’impression d’éléments qui s’additionnent sans être triés, d’images trop composées pour le plaisir de l’effet fait retomber Fauves au ­deuxième plan de l’œuvre formidable de Wajdi Mouawad.

Fauves, théâtre de la Colline, Paris, 01 44 62 52 52. Jusqu’au 21 juin.

Théâtre
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