L’auberge et la forteresse

La pensée sur l’immigration doit-elle se résumer à « maîtriser ou subir » ?, s’indigne l’Auberge des migrants, qui vient de lancer sa marche solidaire 2019. Tous les candidats aux européennes ont-il renoncé à une réflexion collective sur l’accueil ?

Ingrid Merckx  • 1 mai 2019
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L’auberge et la forteresse
© crédit photo : GUILLAUME PINON / NURPHOTO

L’immigration sera-t-elle vraiment un thème central des européennes ? Et si elle parvient à s’imposer ne faut-il pas redouter que ce soit sous l’angle de la chasse aux migrants ?

Le 28 avril, la Marche solidaire pour les migrants 2019 a quitté Vintimille en direction de Calais dans une relative indifférence. La première édition, en 2018, avait duré plusieurs semaines avant de s’achever à Londres. Politis s’en était fait l’écho en ouvrant un blog dédié (à retrouver sur politis.fr). Cette année, cette marche est concentrée en dix jours et s’arrêtera du côté français du tunnel sous la manche, le 8 mai. Elle ne passera pas par Paris mais par le parc national des Écrins, Maisons-lès-Chaource, Soissons… _« Le but de la marche est aussi de lier les valeurs humanistes d’accueil et d’asile à la fierté de l’héritage naturel et patrimonial de notre pays », défend l’Auberge des migrants. En ces temps de campagne électorale, l’association calaisienne à l’origine de la marche alerte : « L’immigration est dans le collimateur et les verbes d’action entre lesquels choisir sont alarmants : maîtriser ou subir. »

La France mobilisée par cette marche, c’est celle qui a combattu la très régressive loi Asile et immigration du 10 septembre 2018. Celle qui se reconnaît dans le Manifeste pour l’accueil des migrants lancé le 26 septembre par Mediapart, Politis_ et Regards. Celle de citoyens qui secourent, nourrissent, hébergent, soignent, entourent, scolarisent des migrants. Des Cédric Herrou, des « 7 de Briançon », des Pierre-Alain Mannoni, des Martine Landry, des Chantal Raffanel aussi, du nom de cette militante du Réseau éducation sans frontières qui comparait le 6 mai devant le tribunal de grande instance d’Avignon pour avoir aidé un mineur étranger isolé à s’inscrire à l’école. Que va-t-elle voter aux européennes, cette France-là ? Que propose l’Europe en matière d’accueil alors que les migrants réfugiés en Italie fuient par les montagnes les lois répressives de Matteo Salvini, quand d’autres ouvrent de nouvelles voies dans le Pays basque, ou s’entassent à Paris ?

Anne Hidalgo a lancé le 24 avril un appel à l’État avec douze autres maires pour « construire collectivement une réponse au défi que pose l’accueil des réfugiés ». Quelque 140 millions de personnes pourraient migrer d’ici à 2050 du fait du réchauffement climatique. En attendant, il n’y a pas de « ruée vers l’Europe », rappelle le démographe Hervé Le Bras dans un entretien aux Échos (26 avril). L’appel d’air est un mythe, et la théorie du grand remplacement une arnaque d’extrême droite.

La pensée identitaire à l’attaque

Mais elle a ses adeptes, et ses prosélytes. Le 9 avril, l’essayiste Renaud Camus a annoncé sa candidature aux européennes avec Karim Ouchikh, président du Siel (Souveraineté, identités et libertés). Leur liste baptisée « La ligne claire » surfe allègrement sur le concept de « remigration » : clé de voûte de la pensée identitaire qui repose sur le déplacement forcé de populations entières. « L’Europe, il ne faut pas en sortir, il faut en sortir l’Afrique », assènent-ils.

Cette liste a peu de chances de passer le cap du dépôt des candidatures qui prend fin le 3 mai. Mais la remigration n’en creuse pas moins ses galeries dans un pays où le Président lui-même s’érige en soldat de la forteresse assiégée jusque sur l’île de Mayotte, qu’il entend fermer davantage aux malheureux naufragés des Comores.

Le 26 avril, les États généraux des migrations ont envoyé aux candidats aux européennes une dizaine d’engagements pour une « politique migratoire européenne et solidaire ». Des rassemblements sur ce thème s’organisent dans toute l’Europe le 5 mai. Mais qu’est devenue la liste « Pour une Europe migrante et solidaire », publiée sous forme de manifeste le 13 novembre ?

Du reste, dans le pays du « principe de fraternité », un groupe raciste constitué sur Facebook par des étudiantes de la fac de Metz a perduré plusieurs semaines avant qu’un membre ne fasse fuiter ses contenus, le 28 avril. Une indignation s’est-elle fait entendre depuis dans les sphères dirigeantes ? Et quelles forces politiques se sont indignées de la validation des tests osseux par le Conseil constitutionnel pour évaluer l’âge des mineurs isolés ? Et qui s’insurge contre le nouveau fichage de ces enfants « non accompagnés » ? À la veille de l’échéance électorale du 26 mai, l’accueil ne relève plus de la question politique mais de l’impensé collectif.

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