Les coquelicots s’enracinent

La campagne visant l’interdiction de tous les pesticides de synthèse progresse irrésistiblement partout en France.

Patrick Piro  • 15 mai 2019 abonné·es
Les coquelicots s’enracinent
© photo : Sur la place du Capitole, à Toulouse, lors du premier rassemblement mensuel de la campagne, le 5 octobre 2018.crédit : Alain Pitton/NurPhoto/afp

Les compteurs sont trompeurs. Celui qui additionne les ralliements à l’appel « Nous voulons des coquelicots » semble marquer le pas autour de 650 000 signatures (1). Effet d’optique, généré par les grands nombres. Certes, après un lancement foudroyant en septembre dernier (2), la progression de la campagne, qui demande l’interdiction de tous les pesticides de synthèse, est désormais moins soutenue. Mais le régime de croisière est impressionnant.

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« Nous recevons en moyenne 2 000 nouvelles signatures par jour, c’est un flot ininterrompu de courrier, une constance qui ne laisse pas d’étonner le vieux militant que je suis », se réjouit Franck Laval, membre de la petite équipe d’animation de la campagne, qui compte une douzaine de bénévoles. Un huissier passe régulièrement pour valider les soutiens additionnels. « Les signatures électroniques sont devenues marginales, près de 80 % de l’accroissement est désormais assuré par des formulaires papier », constate le militant écologiste.

Le flot provient principalement des régions Rhône-Alpes, Bretagne et Pays de la Loire, sous l’impulsion de nombreuses petites associations. « Les gens s’installent toutes les semaines sur les marchés ou à la sortie des gares pour collecter. Et tout le monde signe ! relève Marianne Frisch. Le consensus est frappant : le poison, les gens n’en veulent plus. » Chargée de la diffusion du matériel de campagne, elle mesure aussi l’engouement : les cocardes « coquelicot » se sont déjà écoulées à plus de 100 000 exemplaires. Le premier lot, de 40 000 unités, était parti en trois jours…

« Et c’est en partie grâce à cette présence de terrain constante que des groupes “coquelicots” se créent », souligne Franck Laval. La campagne leur suggère de tenir tous les premiers vendredis du mois un rassemblement devant les mairies. La carte des mobilisations affiche actuellement quelque 750 points dans tout le pays. « Et nous sommes loin d’avoir connaissance de toutes les initiatives locales, jusque dans les plus petits villages », rapporte le militant, de retour de Cambremer (Calvados), 1 200 habitants, où les militants des coquelicots ont déjà organisé plusieurs conférences ainsi que dans les environs. « Le terme “décentralisation” est faible pour décrire ce qui se passe… » Des médecins proposent à leurs patients de signer l’appel, des structures telles que le réseau Biocoop s’engagent résolument. La populaire série Plus belle la vie, qui aime à persiller ses saisons de clins d’œil en rapport avec l’actualité, a cité à deux reprises la campagne des coquelicots.

D’autres opérations sont en cours, comme le fleurissement d’espaces publics par des graines d’espèces sauvages dans les villages, les promenades urbaines, devant les entreprises. La Ville de Paris, entre autres, a donné son accord pour des semis sur le rond-point du Trocadéro ainsi que sur une quinzaine d’autres sites dans la capitale. À ce jour, une cinquantaine de villes de tous bords politiques ont adopté des vœux en soutien plus ou moins marqué à l’appel, dont Toulouse, Grenoble, Brest, et peut-être bientôt Nantes.

À Villeurbanne, la délibération du 21 mars marque l’adhésion totale de la municipalité à l’appel et demande en sus réparation par les industriels des nuisances subies par les agriculteurs et autres professionnels, ainsi qu’une accélération par le gouvernement de la mutation du modèle agricole dominant. La municipalité de Besançon s’était opposée dans un premier temps au vœu présenté par un groupe local. Elle a changé d’avis après que les 55 conseillers municipaux ont reçu une cocarde coquelicot et l’argumentaire de campagne. « Et ça va plus loin, signale-t-on dans l’équipe d’animation de la campagne_. Les citoyens ont aussi proposé la reconstitution d’une ceinture maraîchère autour de la ville, des interventions pédagogiques sur l’agriculture et l’alimentation, etc. »_ La ville d’Amiens serait à ce jour la seule à avoir opposé un refus à ce genre de démarche. « Nous avions envisagé que ce mouvement se déploie dans la durée, et nous constatons qu’il s’enracine, il est parti pour durer longtemps », se convainc Franck Laval.

Les animateurs ne démordent pas de leurs objectifs initiaux : atteindre le cap des deux millions de signatures, puis viser le graal de cinq millions, qui rendrait le message de l’appel politiquement irréfutable. « On pressent qu’il n’y aura pas de retour en arrière. La parole s’est libérée, s’enthousiasme une militante qui préfère fondre sa parole au sein du collectif. Cet appel a placé la barre très haut, rendant notamment inaudible le concept d’agriculture “raisonnée”, défendue par une agriculture productiviste, qui se contenterait de réduire les quantités de pesticides. Plus importante peut-être que le nombre de signatures, il y a cette petite musique déterminée et persistante qui s’est installée dans l’esprit des gens : on n’en veut plus. »

Aussi les animateurs prévoient-ils de faire passer le mouvement à la vitesse supérieure. Le 7 juin, jour du rassemblement mensuel devant les mairies, seront proclamées partout en France « les épousailles des coquelicots et du climat ». La protection de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement, « car les deux batailles sont intimement liées », souligne Fabrice Nicolino, journaliste écologiste à l’origine de la campagne. Rêve de militant : que tous ceux qui ont signé la formidable pétition de l’Affaire du siècle pour la justice sociale et climatique (2,2 millions de signatures) rallient aussi l’étendard du coquelicot.

Et puis, le 12 septembre, anniversaire du lancement de l’appel, « nous discuterons de la manière d’engager une confrontation avec le “système pesticides”, sur le mode pacifique de la désobéissance civile, poursuit Fabrice Nicolino. Car on voit bien que ce système est trop solide pour être ébranlé au premier souffle. En dépit de toutes nos signatures, une affluence pas très éloignée de la participation au grand débat, aucune structure officielle n’a pris le soin ne serait-ce que de nous contacter, ce qui n’aurait pas été déplacé dans une République de bon aloi. Et les pro-pesticides se mobilisent de plus en plus. Nous nous attendons à un durcissement. Inévitable… »


(1) nousvoulonsdescoquelicots.org

(2) Lire Politis n° 1518 du 13 septembre 2018.

Écologie
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