L’Europe se cherche des visages

Après les élections, un intense lobbying politique des États membres et des partis s’engage pour remplacer les quatre principaux dirigeants de l’UE, dont le mandat expire à l’automne.

Michel Soudais  • 29 mai 2019 abonné·es
L’Europe se cherche des visages
Photo : Jean-Claude Juncker vote à Capellen, au Luxembourg, le 26 mai.
© JOHN THYS/AFP

Après les élections, place aux tractations… et aux marchandages. Les chefs d’État et de gouvernement devaient se retrouver le 29 mai à Bruxelles autour d’un dîner informel afin d’entamer le processus de désignation qui suit toute élection européenne. Le renouvellement du Parlement européen est en effet le prélude à celui de la Commission européenne. Le premier poste à pourvoir est celui de son président, aujourd’hui occupé par Jean-Claude Juncker. De par l’article 17.7 du traité de l’Union européenne, il revient au Conseil européen, lors de son sommet des 20 et 21 juin, de proposer un candidat à cette fonction, « en tenant compte des élections au Parlement européen et après avoir procédé aux consultations appropriées ». Ce candidat doit ensuite obtenir la majorité absolue des eurodéputés, soit 376 voix si le Brexit n’est pas intervenu à la date du vote prévu lors de la deuxième session du Parlement européen, mi-juillet.

En 2014, le Parlement européen, sur la base d’une interprétation extensive de cet article 17.7, avait imposé au Conseil de présenter le candidat du groupe politique arrivé en tête. Avant l’élection, chaque groupe avait désigné son prétendant, le « spitzenkandidat », pour la Commission européenne. Cette année, toutes les formations politiques européennes avaient encore un spitzenkandidat, voire deux, les Verts et la Gauche unie européenne ayant souhaité présenter un binôme paritaire. Mais, étant donné l’hostilité affichée d’Emmanuel Macron à l’égard de ce système, partagée par plusieurs chefs d’État et de gouvernement désireux de préserver la liberté du Conseil face au Parlement, l’expérience ne devrait pas être reconduite.

Dès dimanche soir, le bras de fer était lancé entre le Parlement et le Conseil. Le premier, fort d’un bond de la participation (un électeur sur deux s’est déplacé), estime que le futur président de la Commission doit être l’un des candidats têtes de liste. Les dirigeants du Parti populaire européen (PPE) ont immédiatement réclamé le poste pour leur chef de file, le Bavarois Manfred Weber. Mais l’affaiblissement de sa famille politique comme de celle des socialistes et démocrates (S&D) ne permet pas d’envisager une majorité fondée sur la seule alliance de ces deux groupes. Face aux eurosceptiques et nationalistes, il y faudrait l’appoint du groupe des libéraux (ADLE), que rejoint La République en marche, voire celui des Verts. Et Emmanuel Macron, qui songerait à Michel Barnier pour le poste, entend bien tirer parti de cette position centrale pour jouer les faiseurs de roi.

Avant le dîner informel de Bruxelles, le président français s’était entretenu dès dimanche soir avec Angela Merkel et avait reçu à dîner lundi le chef du gouvernement espagnol socialiste Pedro Sanchez, qu’il voit comme un allié sur la scène européenne. Au même titre que le Néerlandais Mark Rutte et le Portugais António Costa, qu’il a récemment invités à l’Élysée. Il devait également déjeuner mardi à Bruxelles avec le Premier ministre belge, Charles Michel, et d’autres dirigeants européens proches, puis s’entretenir avec les Premiers ministres du groupe de Visegrad (Slovaquie, République tchèque, Pologne, Hongrie), bastion du camp nationaliste. Avant de rencontrer le président du Conseil, Donald Tusk, et Angela Merkel.

Cet activisme diplomatique est d’autant plus intense que le Conseil doit nommer, avec le président de la Commission, trois autres dirigeants de l’UE : le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, en remplacement de Federica Mogherini ; le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi arrivant au terme de son mandat de huit ans ; et le président du Conseil. Les nominations pour ces trois fonctions relèvent de la prérogative des dirigeants européens. Mais elles sont encadrées par une série de conditions : un des grands postes doit revenir à une femme et un équilibre doit être respecté entre grands et petits États, et entre les anciens membres et les nouveaux arrivés depuis 2004. En 2014, il avait fallu convoquer un sommet extraordinaire, fin août, pour nommer Federica Mogherini à la tête de la diplomatie européenne et Donald Tusk à la présidence du Conseil. Ce dernier souhaite que toutes les désignations soient bouclées en juin et affirme qu’il n’hésitera « pas à mettre aux voix ces décisions, s’il s’avère difficile de trouver un consensus ». Pour éviter une telle issue, les tractations en coulisse s’annoncent particulièrement rudes.

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