Pollution de l’air : procès historique

Une citoyenne accuse l’État de n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour limiter le pic de décembre 2016.

Ingrid Merckx  • 28 mai 2019 abonné·es
Pollution de l’air : procès historique
© photo : Paris dans un nuage de pollution, le 27 juillet 2018. crédit : Mustafa Yalcin / Anadolu Agency/AFP

La lutte contre la pollution de l’air a eu un visage, celui de Clotilde Nonnez. Cette prof de yoga parisienne, en insuffisance respiratoire pendant les pics de pollution, a été l’une des premières à déposer une requête devant le tribunal administratif de Paris pour « carence fautive ». C’était le 7 juin 2017. Une date d’audience pourrait être fixée au mois de juin 2019.

« Nous considérons que les déboires médicaux subis par les victimes de la pollution sont le résultat de l’inaction des autorités administratives contre la pollution de l’air, qui cause chaque année 48 000 morts prématurées en France », avait expliqué Me François Lafforgue lors d’une conférence de presse. Avocat réputé dans la défense des victimes environnementales – amiante, AZF, Monsanto, « usine verte » à Montreuil –, il porte aujourd’hui plusieurs dossiers de victimes de la pollution de l’air devant les tribunaux avec l’appui des associations Respire et Écologie sans frontières.

Depuis le 28 mai, la lutte a aussi le visage de Farida. Plus exactement son nom, car cette autre victime de la pollution de l’air n’était pas présente au tribunal administratif de Montreuil pour la première audience publique de ce type en France. Atteinte de plusieurs affections respiratoires, cette femme de 52 ans, mère d’une fille de 16 ans souffrant également d’affections respiratoires, a dû quitter la région parisienne. Elles habitaient Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), entre le périphérique, l’avenue Gabriel-Péri et le boulevard Victor-Hugo. Depuis une vingtaine d’années, Farida souffrait de problèmes respiratoires qui se sont aggravés : des petites affections du type rhino-pharyngite, laryngite, angine sont devenues des bronchites chroniques lui valant des prescriptions d’antibiotiques parfois pendant deux mois consécutifs. Sa fille a connu des épisodes de bronchiolite dès la naissance puis a été diagnostiquée asthmatique. Quand elles partaient pour le week-end, leur état de santé s’améliorait immédiatement. Farida a fini par consulter un pneumologue qui leur a conseillé de déménager. Depuis qu’elles vivent à Orléans, elle n’a plus besoin de voir un spécialiste.

Le 28 mai, au tribunal administratif de Montreuil, a été plaidé le premier recours contre l’État en carence fautive : les problèmes de santé de Farida et de sa fille ont subitement augmenté en décembre 2016 pendant le pic de pollution qui a touché la France, plongeant une partie du pays dans un brouillard de particules fines pendant une bonne dizaine de jours. Respire et Écologie sans frontières estiment que les « autorités publiques n’ont pas pris de mesures efficaces » lors de ce pic et que, lorsqu’elles les ont finalement prises, « elles n’ont pas veillé à leur application ». Le dossier s’appuie notamment sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 19 novembre 2014 portant sur l’obligation de résultat des États membres concernant la qualité de l’air et sur le pouvoir de sanction des juridictions nationales.

Dans une affaire opposant le Royaume-Uni à l’ONG ClientEarth, la cour a reconnu aux juges nationaux le droit d’user de tout moyen pour contraindre les États à établir un plan d’action permettant d’atteindre, au plus tard le 1er janvier 2015, les valeurs limites de concentration de polluants de l’air fixées par le droit européen. La France ne les respectant pas, Écologie sans frontières, rejointe par Respire, a déposé une plainte contre X le 10 mars 2014. Ces deux associations ont également, avec l’appui du cabinet TTLA de Me Lafforgue, lancé un appel à témoins et annoncé qu’elles soutiendraient les citoyens qui se pourvoiraient en justice. Une cinquantaine de plaintes sont aujourd’hui en cours en France.

« Les clichés de la tour Eiffel dans un brouillard de pollution en 2016, c’est une image choc. Mais il faut aussi incarner la lutte contre ce fléau. Des recours comme celui de Farida et sa fille peuvent aider à la prise de conscience. Il faut créer de l’empathie », explique Sébastien Vray. Ce communicant de la région parisienne circulait à vélo quand il a réalisé, voilà une dizaine d’années, qu’il pédalait dans un nuage pollué. « Je me suis dit : on n’a pas le droit de faire ça ni de laisser faire ça. » Il a fondé l’association Respire en février 2011. Il s’est documenté, autoformé : « J’ai quasiment acquis un master personnel en qualité de l’air ! »

Le premier grand dossier auquel se confronte Respire est celui de la pollution automobile. Le rapport Roussel, commandé par le ministère de la Santé, qui établit un lien entre les particules fines et le développement de cancers, a été publié en 1983. En 2014, dix-sept États de l’Union ne respectaient pas les normes européennes sur la pollution de l’air, dont la France. En juin 2018, celle-ci a été renvoyée devant la CJUE par la Commission européenne pour dépassements réguliers de la valeur limite pour les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) à 40 µg/m3 dans quatorze zones. Pour les dépassements des seuils en particules fines, dix zones sont particulièrement touchées : la Martinique, la vallée de l’Arve (Rhône-Alpes), Paris, Lyon, Grenoble, ­Marseille, Paca-ZUR (zone urbaine régionale), Nice, Toulon, Douai-Béthune-Valenciennes.

« Le diesel a été classé cancérogène pour l’homme en 2011. On ne peut pas demander à tout le monde de déménager ! » s’exclame Sébastien Vray. Dans des dossiers de recours en indemnisation, comme dans de nombreux dossiers de santé environnementale, c’est la question du lien entre une maladie et une source de pollution qui est la plus problématique. « En cas de pollution diffuse, un lien de causalité peut être retenu, a expliqué Me Lafforgue en présentant le recours de Clotilde Nonnez. Les juridictions ont considéré que les problèmes de santé n’auraient pas connu une telle ampleur si les réglementations avaient été respectées. »

« Le lien entre des problèmes de santé et une source de pollution est toujours difficile à établir, précise le professeur Bruno Housset, président de la Fondation du souffle. Les sources sont multiples : tabac, air intérieur, circulation automobile… Mis à part les pollutions professionnelles, la pollution de l’air est un problème complexe. Et, sur ce dossier comme sur celui du tabac ou des pesticides, les “marchands de doute” sont à l’œuvre… » Cependant, « quand on met en parallèle les courbes sur les hausses de pollution aux particules fines et ultrafines lors des pics de pollution et l’exacerbation de poussées aiguës de certaines maladies, on s’aperçoit qu’il y a une corrélation », souligne le docteur Nhân Pham-Thi, pédiatre et allergologue à l’Institut Pasteur. À l’issue du pic de décembre 2016, des médecins de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ont rapporté une hausse du nombre de patients admis aux urgences pour des crises notamment respiratoires. Et l’étude Pollux, menée par des équipes de Trousseau et de Necker-Cochin entre 2010 et 2015, a permis d’analyser la relation entre la pollution de l’air extérieur et la survenue de crises d’asthme chez les enfants reçus en consultation aux urgences.

« La pollution a changé de nature, observe Bruno Housset. Aujourd’hui, les polluants sont beaucoup plus petits et pénètrent plus profondément dans l’organisme, ils passent dans le sang, ils peuvent entraîner des problèmes cardio-vasculaires et neurodégénératifs. » Tout le monde est concerné. « Il faut prendre garde aux maladies chroniques et à la pollution de fond, qui agit de façon sournoise. Il n’y a pas d’effet de seuil avec ce type de polluant. Les problèmes commencent dès le début de l’exposition, ajoute Bruno Housset, d’où l’intérêt de se battre pour que les seuils soient le plus bas possible. » Ceux fixés par l’Europe restent bien au-dessus de ceux fixés par l’OMS. « Les particules fines jouent un rôle dans l’augmentation des phénomènes inflammatoires et de développement cellulaire », complète Nhân Pham-Thi.

Par-delà l’indemnisation de 160 000 euros que réclame Farida, l’enjeu de cette première audience publique devant le tribunal administratif de Montreuil, c’est le processus qu’elle enclenche. « Là où les pouvoirs publics traînent, la société civile alerte », résume Sébastien Vray. Dans l’espoir aussi de pouvoir ensuite instaurer un rapport de force.

Écologie
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