Salaires des joueuses : l’arithmétique a bon dos

La moindre « rentabilité » des footballeuses face à leurs homologues masculins ne suffit pas à expliquer l’écart salarial.

Romain Haillard  • 5 juin 2019 abonné·es
Salaires des joueuses : l’arithmétique a bon dos
© photo : Serena Williams était la seule femme dans le classement Forbes des 100 athlètes les mieux payés en 2017.crédit : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFp

À l’heure du Mondial de football, des joueuses professionnelles engagent le match contre les inégalités salariales. Parmi elles, l’internationale norvégienne Ada Hegerberg. Pour dénoncer les inégalités de traitement entre genres, la première femme récompensée du Ballon d’or ne foulera pas les pelouses françaises en juin. Les Américaines, elles, défendront leur titre, mais ont décidé d’attaquer leur fédération en justice pour les mêmes raisons. Mais côté français, aucune voix ne s’élève pour l’instant. Pourtant, comme leurs consœurs, elles gagnent beaucoup moins que leurs homologues masculins.

Malgré une troisième place mondiale au classement des ligues sportives féminines les plus rémunératrices, les inégalités restent criantes en Division 1. Selon Sporting Intelligence, site web spécialisé dans l’économie du sport, les Françaises gagnaient en moyenne 42 000 euros par an pendant la saison 2017-2018, quand leurs confrères de Ligue 1, eux, touchaient plus de 100 000 euros par mois, selon le dernier classement du journal L’Équipe. Soit 28 fois plus.

« Les joueuses françaises vont devenir des modèles, influencer des générations de filles, mais ne portent pas ce plaidoyer d’égalité », reproche Julian Jappert. Directeur du think tank Sport et citoyenneté, l’ancien juriste explique cette absence de mobilisation par un système sans responsable clairement identifié. « Il existe une coresponsabilité entre l’État, les ligues sportives, les collectivités territoriales, le secteur privé et des ONG qui ne trouvent pas leur place dans tout ça », regrette-t-il.

Pour Pierre Rondeau, les raisons se situent ailleurs. « En matière de salaire, deux paradigmes existent. Un premier entend respecter strictement l’égalité, comme la Fédération française de handball », rapporte le professeur d’économie à la Sports Management School, avant de poursuivre : « Les joueurs et joueuses de l’équipe de France gagnent les mêmes primes. C’est une volonté politique, perdante économiquement, mais gagnante sportivement au regard de leurs bons résultats. »

Le deuxième paradigme se veut plus prosaïque. « C’est la logique de la Fédération française de football. Les femmes rapportent moins d’argent, donc l’organisation redistribue moins », commente Pierre Rondeau. Les Bleus ont été récompensés d’un chèque de 400 000 euros chacun après leur couronnement en Russie l’été dernier. Si elles avaient gagné leur Mondial en 2015, les Françaises n’auraient remporté que 15 000 euros.

Mais l’argument économique a ses limites. D’abord, parce que « la rentabilité n’est plus atteinte pour le football masculin. Les chaînes de télévision perdent de l’argent avec les droits de diffusion des championnats (1) », analyse Pierre Rondeau. Ensuite, parce que les Bleues réalisent des audiences remarquables : 1,2 million pour le simple match amical contre la Chine le 31 mai (2). Or, pour le Mondial, les droits pour diffuser les matchs se bradent à 10 millions d’euros pour les femmes, contre 130 millions pour les hommes. Une simple arithmétique montre que la « rentabilité » n’est pas seule à l’œuvre pour moins payer les femmes.


(1) Les droits de diffusion pour la Division 1 (femmes) se montent à 6 millions d’euros, contre 748 millions, rehaussés à 1,1 milliard pour 2020, pour la Ligue 1 (hommes).

(2) Début mai sur TF1, l’annonce des sélectionnées a rassemblé 5 millions de téléspectateurs, presque autant que les 6 millions pour l’émission équivalente pour les Bleus du Mondial 2018.

Société
Publié dans le dossier
Femmes et sports : Terrains à déminer
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