« Un cadenas sur le cœur », de Laurence Teper : la vérité à la clé

Dans Un cadenas sur le cœur, Laurence Teper raconte comment une femme élucide les faux-semblants sur lesquels sa vie était fondée.

Christophe Kantcheff  • 11 juin 2019 abonné·es
« Un cadenas sur le cœur », de Laurence Teper : la vérité à la clé
© Crédit photo : DR

Un cadenas sur le cœur s’ouvre par des scènes de vacances en apparence anodines, sur la plage où deux familles se retrouvent chaque été depuis des années : les Meunier et les Coquillaud. Les premiers ont un fils et une fille, Claire, personnage principal du livre – et, comme plusieurs indices le montrent, alter ego de l’auteure, Laurence Teper. Les seconds, un peu plus dotés socialement, ont six enfants.

Nous sommes dans les années 1970, la vie semble s’écouler tranquillement, les étés succèdent aux étés. Sauf qu’à regarder de plus près, comme dans toutes les familles, tout n’est pas aussi limpide qu’il y paraît. Dès la fin du premier chapitre, quelque chose cloche. Pendant que chacun (hormis Mme Coquillaud, qui sort peu) se baigne, s’étend sur une serviette, croque dans un en-cas, Gisèle Meunier et Georges Coquillaud partent en promenade pendant de longues heures. « Non sans qu’au préalable, sous les yeux à peine surpris des uns et des autres, Georges Coquillaud ait enduit d’écran total le dos de Gisèle Meunier. »

Même si les chapitres introductifs font les présentations avec les membres des deux familles, Un cadenas sur le cœur n’est pas une chronique familiale, avec son arrière-fond social, ses névroses et ses égoïsmes. Il s’agit d’un livre-enquête dans lequel Claire/Laurence Teper raconte comment elle s’est lancée à la recherche d’un graal : la vérité. Une notion qui pourrait être discutée. Parmi les exergues placés en tête du livre, il y a cette citation de Schopenhauer : « Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite elle subit une forte opposition. Puis elle est considérée comme une évidence. »

Cette quête d’une vérité, qui aux yeux de Claire a la force de l’évidence, s’est manifestée soudain comme une nécessité. Comme une immense envie de respirer. Il lui a fallu mettre à bas le petit théâtre des illusions sur lequel s’était fondé un semblant de normalité et de légendes familiales. Ce qui ne se fait pas si facilement ! Parce qu’il est confortable d’y croire au début et que l’état des choses semble indestructible. Une victoire sur une grave maladie ou la parole d’un psy peuvent donner du courage. Un cadenas sur le cœur déploie ce récit-là, d’élucidation existentielle, marquant de grandes étapes dans la vie de Claire.

Ainsi, dissiper le flou et savoir enfin qui était son père biologique, de Jacques Meunier ou de Georges Coquillaud, s’est imposé à elle, surtout quand elle a eu elle-même des enfants. Ce n’est pas grand-chose, un test ADN, encore faut-il avoir le cran de le proposer, et recevoir une vraie réponse. Pour Claire, c’était comme abattre une montagne. L’imagination de ce qui pourrait advenir est parfois inhibitrice. Elle trouve une oreille attentive chez Jacques Meunier, celui qu’elle a toujours tenu pour son père, un homme simple – « Tu n’évolueras donc jamais ! Tu resteras toujours un ouvrier », lui a lancé un jour sa femme –, effacé et aimant. Lui aussi doute de sa paternité. Mais Claire et lui sont sûrs des sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.

Ces pages pourraient être dégoulinantes d’affects et perdre ainsi leur charge d’émotion. Au contraire, l’écriture de Laurence Teper reste tenue de bout en bout. Sans fioritures, elle est précise et rapide, comme sont brefs les chapitres. « Claire ne savait plus comment dire à son père toute sa gratitude, si bien qu’elle lui dit simplement merci. » Le personnage et l’auteure partagent beaucoup de choses, dont la sobriété dans l’expression.

Claire va éclaircir d’autres mystères. Comme son intérêt incompréhensible pour les juifs et la judaïté. Ses recherches prennent un tour historique. Elle ne découvre pas de grands secrets, n’obtient pas d’énormes révélations. Elle se lave des « belles » histoires qu’on lui a racontées, qui en cachaient d’autres. Un cadenas sur le cœur, sensible premier roman de Laurence Teper, n’est pas un règlement de comptes. Jouir de la vérité n’est pas se poster en juge. Mais se libérer.

Un cadenas sur le cœur, Laurence Teper, Quidam éditeur, 196 pages, 19 euros.

Littérature
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