Des jeunes en grève pour le climat expriment leurs inquiétudes au sujet du festival L’An Zéro

Tribune. Le festival « écolo » l’An Zéro aura lieu du 30 août au 1er septembre. Des jeunes en grève pour le climat critiquent l’écologie « consensuelle » qui sous-tend cette initiative et d’autres.

Collectif  • 5 juillet 2019
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Des jeunes en grève pour le climat expriment leurs inquiétudes au sujet du festival L’An Zéro
© crédit photo : JEAN-LUC ALLEGRE / ONLY FRANCE

L’An Zéro est un festival « écolo » qui doit se tenir les 30, 31 août et 1er septembre 2019. Il est organisé par le « lobby citoyen » La Bascule, dans l’idée d’« accélérer la transition ». Le festivalier sera en principe invité à traverser plusieurs villages thématiques (le village civique, militant, sportif ou encore le village paysan) pour rencontrer les différents « acteurs de la transition » afin d’ « apprendre et de co-élaborer la transition » avec eux. Malgré son apparence rassembleuse et bon-enfant, l’An Zéro a suscité dès son annonce de très vives critiques, à la fois par voie de presse (1), mais aussi à l’occasion de réunions publiques avec les habitants en Creuse, où il devait avoir lieu. Conséquence : la tenue du festival à Gentioux-Pigerolles (Creuse) est annulée, et le festival est contraint de se déplacer ailleurs.

Quoi qu’il en soit du lieu où se tiendra l’An Zéro, la façon dont il est présenté et organisé nous inquiète. En tant que jeunes pour le climat, nous sommes une des cibles principales de cet événement. Nous qui participons aux marches pour le climat, aux grèves scolaires, au blocage des pollueurs, il nous paraît donc légitime d’exprimer nos propres doutes. Pourquoi une telle initiative rencontre-t-elle une si vive opposition, à l’heure où le combat écologique semble réclamer l’unité ?

Les critiques de l’An Zéro sont parfois rudes, mais elles pointent du doigt des problèmes essentiels d’une certaine écologie associative et militante. Cette écologie peut être qualifiée de consensuelle, parce qu’elle vise avant tout le « dialogue », c’est-à-dire, à permettre à des représentants de dialoguer avec les élus et les entreprises – là où les gilets jaunes, par exemple, ont choisi la démocratie directe. Elle s’inscrit dans la dynamique prise par le mouvement climat depuis 1 an, qui profite du soutien d’artistes influents (de Marion Cotillard à Shaka Ponk) ou d’autres « personnalités » pour rendre la cause écologique « attractive » et afficher une volonté de « coopération ». Dans l’équipe d’organisation de l’An Zéro, on retrouve d’ailleurs le nom des associations et collectifs engagés dans le mouvement climat, comme l’Affaire du siècle, Alternatiba, On est prêt, ou Notre Affaire à Tous.

Le style très « managérial » de la communication de l’An Zéro n’a d’ailleurs rien à envier à la novlangue des startups les plus hypocrites. Elle récupère même jusqu’au lexique des luttes pour désigner une réalité bien plus fade. Par exemple, la « convergence » invoquée par les organisateurs laisse perplexe : l’idée est bien de se rassembler, mais avant tout entre « acteurs » du mouvement écologique (comprendre « associations, entreprises, élus »), alors que le coeur de lutte de ce mouvement pourrait aussi bien se situer en dehors de lui, comme l’a montré la révolte des gilets jaunes.

Car ironiquement, au regard des résultats, c’est plutôt le mouvement des gilets jaunes qui pourrait passer pour un mouvement écologique : en se soulevant contre une taxe qui incarne une écologie de classe, les Gilets jaunes ont créé des mini-ZAD sur les ronds-points de France, à partir de matériaux récupérés, mis en place des réseaux de solidarité et de convivialité. Ils ont bloqué les hauts lieux de la pollution, les multinationales (Monsanto, Amazon, etc.) et les centres commerciaux. Ils ont fait « décroître », samedi après samedi, une économie qui ravage la planète. En outre, ils mettent maintenant au centre de leurs revendications la nécessité d’une transformation écologique (Commercy, St Nazaire, Montceau-les-Mines).

Dans ce contexte particulier, il est très étonnant de voir qu’aucun collectif local de gilets jaunes n’est attendu à l’An Zéro. Mentionner Priscillia Ludosky comme partenaire de l’événement ne cache pas cette absence criante : les GJ se sont toujours distingués par leur refus de reconnaître des figures de proue et n’ont cessé de remettre en question la verticalité. C’est donc faire preuve d’une mécompréhension de ce mouvement, et vouer la convergence à n’être que symbolique ou superficielle. L’hypothèse se confirme quand on apprend la présence d’une association du nom de « Gilets citoyens », dont les premiers membres ne sont autres que Cyril Dion et Marion Cotillard, ce qui invite franchement à se demander si cette initiative n’est pas une belle escroquerie.

Concernant la paysannerie, si les associations et collectifs paysans en lutte contre l’agro-industrie ne manquent pas (Terre de liens, Semences paysannes, Nature&progrès, Confédération paysanne), cela ne semble pas gênant pour les organisateurs qu’elles ne soient nullement mentionnées, et que la place soit réservée à des chefs cuisiniers étoilés, bien plus enclins à parler de leur rapport à la « transition agricole », eux qui l’expérimentent au quotidien ! Enfin, nulle trace de militants des quartiers populaires, alors qu’ils ont plusieurs fois « convergé » avec le mouvement climat (Marche du siècle, « Fin du grand débat, début du grand débarras », « Ripostons à l’autoritarisme »).

Le choix des partenaires de l’événement laisse au contraire entrevoir une compagnie bien choisie, celle d’une certaine population : les classes moyennes supérieures, qui ont le loisir de se préoccuper de leur empreinte carbone (2). La rhétorique de la « nécessité de rester unis », de « ne pas se tirer dans les pattes » est une manière assez hypocrite d’imposer une vision très partielle de l’écologie. En effet, à l’heure où il devient crucial que la lutte écologique s’intensifie et gagne toute la société, l’An Zéro effectue des simplifications dangereuses en résumant l’écologie à sa version édulcorée et pacifiée :

La paysannerie = de la bonne nourriture à servir dans un restaurant gastronomique

La politique = du lobbying citoyen et/ou une formation au mandat d’élu (on ne peut faire de la politique que dans le cadre institutionnel, c’est évident)

Le sport = un partenariat avec Décathlon (3)

La lutte contre le capitalisme = des décrochages de portraits de Macron, du boycott, des pétitions…

En réalité, le culte pour la « discussion » et le « dialogue » apparaît surtout comme un moyen d’éviter à tout prix qu’un conflit un peu sérieux s’affirme entre l’écologie et ses ennemis. C’est exactement l’attitude dont fait preuve un organisateur lorsqu’il répond à ses détracteurs (4) : « si tu coopères avec une entreprise, tu es le diable ; si tu parles avec des membres du gouvernement, tu es le diable… ». Comment parler avec un gouvernement qui gaze des militants écologistes non violents ? Comment parler avec un gouvernement qui a ces derniers mois blessé des milliers de gens, crevé des dizaines d’yeux, et même tué à plusieurs reprises (de Rémi Fraisse à Zineb Redouane) ? Le dialogue est-il une option sérieuse pour ceux qui souhaitent rester solidaires des gens qui ont fini en prison, à l’hôpital ou sous contrôle judiciaire dans des luttes justes ?

Si on prend davantage de recul, on se rend compte que la coopération pacifiste et raisonnée avec l’Etat n’a jamais porté ses fruits en 50 ans de lutte écologique : qu’a donné le dialogue depuis des années de sommets sur le climat, de COP, de petites réunions dans les cabinets ministériels avec les ONG et les entreprises ? Des promesses non tenues, et rien d’autre.

En vérité, même si les gouvernants étaient de bonne volonté, ils ne pourraient rien faire. Ils sont tenus par les traités, les lois, l’endettement, la compulsion de croissance, le système monétaire international et ses grandes institutions (FMI, OMC, BCE, etc.). Pire, ils adhèrent souvent à ces règles avec un zêle remarquable : ils prolongent l’usage du glyphosate, ils ratifient sans cesse l’artificialisation de nouvelles terres, ils dédient d’immenses les moyens policiers et financiers pour réprimer les luttes. Veut-on vraiment dialoguer avec des gens qui tiennent de beaux discours, mais dont les actes contribuent chaque jour au ravage de la planète ? Veut-on dialoguer avec des gens qui font évacuer violemment la ZAD de Notre Dame des Landes ou celle de Bure, qui rasent des quartiers populaires pour les JO 2024 ou le Grand Paris, qui bétonnent les derniers espaces verts pour créer encore quelques « emplois » ?

Les organisateurs de l’An Zéro, comme Macron, admettent la nécessité de s’opposer à un « capitalisme qui a perdu la tête ». Cette formulation nous semble très douteuse : elle suppose qu’un capitalisme ayant repris ses esprits, adéquatement régulé, humanisé et colorié en vert, serait tolérable. Il semble plutôt que le capitalisme ne soit pas « devenu fou », mais ait toujours été une logique folle depuis son origine en Angleterre au XIXe siècle. Le capitalisme ne pourra être « vert » ou « à visage humain », car sa survie suppose la création constante de valeur (et donc de plus en plus de travail, de production, d’extraction, d’exploitation). On voit bien que pour s’y opposer réellement, il ne suffit pas de petits aménagements, d’un peu de recyclage, d’un peu de « coopération élus – citoyens – entreprises ».

S’attaquer à la racine du capitalisme, c’est s’attaquer à ses fondements : 1) Se libérer de l’espace et du temps pour sortir de la logique de valorisation (grève, blocage, réduction du temps de travail), et construire des contre-mondes qui soient fondés sur d’autres logiques (ZAD, jardins partagés, réseaux d’entraide, économie parallèle, amitiés). 2) Exproprier ceux qui détruisent la nature et nous pourrissent la vie : récupérer et transformer les moyens de production, occuper les lieux où nous habitons et où nous travaillons, arracher des terres et du temps à la logique capitaliste, pour permettre d’autres usages du monde.

Plutôt que de mettre 500.000€ dans l’organisation d’un rassemblement hors sol, pourquoi ne pas aller soutenir des lieux en lutte qui en ont bien besoin, et qui expérimentent de véritables alternatives au capitalisme ? Ce ne sont pas les territoires qui manquent, et c’était une tactique très utilisée dans un passé récent : il n’y a qu’à se rappeler les années de gloire des camps action-climat en Angleterre entre 2006 et 2010, qui chaque été se déployaient sur un territoire à défendre (contre une nouvelle piste d’aéroport à Heathrow, contre des centrales à charbon ou électriques) (5), ou bien le camp climat qui lança le mouvement d’occupation de la ZAD de NDDL en 2009 (6).

Ces événements relevaient eux aussi d’une écologie de masse, familiale et conviviale mais d’une manière nettement plus conséquente, mêlant vie en communauté et discussions le jour, et sabotages contre les infrastructures nocives la nuit. Leur mise en place reposait sur des principes anarchistes : les décisions étaient prises en Assemblée Générale pour discuter de l’organisation du camp lui-même, de manière horizontale. Tout reposait sur les dons et la participation de chacun. On prévoyait des temps de repos et des temps d’action afin de respecter le mieux possible le lieu et les envies de chacun.e.

Sous le vernis de l’unité, du grand rassemblement consensuel, apartisan, c’est donc une ligne politique bien précise qui est affirmée à l’An Zéro, un public très restreint qui est visé, une stratégie très claire qui est défendue : le déjà-vieux refrain d’une écologie qui serait « ni de droite ni de gauche ». Cette écologie consensuelle, qui doit plaire à tout le monde, n’est dans le fond qu’une nouvelle offre sur le marché écologique, correspondant aux attentes des gouvernants et des entrepreneurs. Il n’y a qu’à lire les textes de présentation du festival (7): « Si, comme tous les activistes de la Bascule, vous pensez que la transition est urgente et nécessite que l’on s’organise, et pour cela que nous devons apprendre à nous connaître et à travailler ensemble, alors l’An Zéro est pensé pour vous. » Voilà le genre de formule qui pourrait tout à fait être utilisée dans la vente d’un service commercial, léché et séduisant.

Nous ne sommes pas des consommateurs à qui l’on peut vendre du rêve avec des discours plats, plein de bons sentiments : nous, jeunes en grève pour le climat, nous sommes en rage, et nous digérons mal le fait que la lutte écologique puisse contribuer à la poursuite d’un monde toujours porté sur la marchandisation du vivant et des liens sociaux, dirigé par une élite blanche et aisée, qui ignore royalement la violence d’Etat à l’encontre de ceux et celles qui se révoltent pour un monde plus juste.


(1) Voir ici, ici et .

(2) Dans cette interview, Fatima Ouassak rappelle que dans les quartiers populaires les questions écologiques demeurent un souci réservé aux blancs des classes moyennes et supérieures.

(3) Dans une première version non définitive de la plaquette de présentation du festival, Decathlon était annoncé parmi les deux seuls invités du village sportif avec des associations locales.

(4) Post Facebook datant du 13 juin de M. de Rostolan

(5) Voir ici.

(6) Voir ici.

(7) Voir ici.

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