Marche pour Adama : « Sans justice, vous n’aurez jamais la paix »

Gilets jaunes, gilets noirs, sans-papiers… La troisième marche pour Adama a réuni au-delà de ses premiers soutiens pour penser et fédérer les luttes existantes et futures.

Romain Haillard  • 20 juillet 2019
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Marche pour Adama : « Sans justice, vous n’aurez jamais la paix »
© Crédit photos : Romain Haillard

Le jaune fluo des gilets souligne le message des t-shirts, imprimé blanc sur noir _: « Justice pour Adama, sans justice, vous n’aurez jamais la paix. »_ Devant la gare du Nord, à Paris, un groupe de militants détonne avec le reste des voyageurs ce samedi 20 juillet. Pas question d’investir les rues de la capitale ce jour-là, les yeux convergent vers une autre destination : Beaumont-sur-Oise. Pour la troisième année consécutive, la marche en hommage à Adama Traoré a rassemblé autour d’un message fort : « Ripostons face à l’autoritarisme ».

Il y a trois ans, Adama Traoré perdait la vie dans la gendarmerie de cette petite ville populaire du Val-d’Oise. Assa Traoré, grande sœur du défunt, ne partage pas les doutes des enquêteurs. La dernière contre-expertise, rendue publique par sa famille en mars dernier, réfute l’origine naturelle du décès du jeune homme de 24 ans. La mort par asphyxie d’Adama résulterait bien du plaquage ventral réalisé par les gendarmes lors de son interpellation.

« Le message du collectif Adama a évolué, il devient plus offensif »

Pour la première fois, Anasse Kazib a répondu à l’appel des Traoré. Dans le train pour rejoindre la manifestation, le syndicaliste SUD Rail et membre du collectif Intergare souligne le caractère décisif de cette rencontre : « Le message du collectif Adama a évolué. Il devient plus offensif. Leurs soutiens comprennent la nécessité d’une convergence et agissent pour lier toutes nos luttes. » Le marxiste révolutionnaire au regard déterminé salue la réactivité et l’engagement de la famille Traoré : « Dès 2016, ils ont soutenu les étudiants de Tolbiac pendant la loi travail. Et dès le début des gilets jaunes, ils appelaient les quartiers populaires à se joindre à la mobilisation, malgré les hésitations de l’extrême gauche. »

À peine le premier pas posé sur le quai de la gare de Persan-Beaumont, le cheminot au gilet orange s’amuse à l’écoute des premiers chants. « On est là ! » pousse énergiquement les gilets jaunes. Parmi eux, Viviane, 68 ans et abonnée aux manifs du samedi dans la capitale. Elle aussi vient à la marche pour la première fois. « Je devais le faire, après tout ce que j’ai vu à Paris », confie la femme aux yeux pâles rivés sur le sol. « Je n’arrive plus à accepter », lâche-t-elle dans un souffle.

Les manifestants se rassemblent pour enfin s’élancer dans les rues de Beaumont-sur-Oise. La gendarmerie où Adama a rendu son dernier souffle, la rue où les gendarmes l’ont plaqué et menotté… Chaque endroit emblématique de l’affaire donne lieu à une pause, ponctuée parfois de silences religieux, souvent par des cris vengeurs.

Une fois la marche terminée, les prises de paroles se succèdent. Des gilets noirs, des gilets jaunes, des collectifs de sans-papiers, des familles et amis de victimes dessinent un front commun contre les violences policières. « Comme Malik Oussekine a été le symbole de la lutte contre la loi Devaquet, Zineb Redouane doit devenir le symbole des gilets jaunes », clame le membre du collectif La Vérité pour Adama, salué immédiatement par la foule. L’homme à la grande barbe retient difficilement un sourire : « C’était au tour des gilets jaunes, de venir en banlieue… Et nous avons réussi, regardez-vous, soyez fiers. »

« Ce n’est pas la marche de la famille Traoré, c’est la vôtre »

Tous deux mutilés lors de manifestations du samedi, Antoine et Franck écoutent d’une oreille attentive les discours et s’y reconnaissent. « Nous avons tous perdu quelque chose », énonce calmement Antoine Boudinet du collectif Mutilés pour l’exemple. Lui a eu la main droite arraché dans l’explosion d’une grenade GLI-F4. Franck a reçu une balle de défense en plein visage et a perdu une partie de la vision. « Je me sens touché par les discours d’Assa Traoré. Elle n’oublie jamais de parler des gilets jaunes, elle compte sur nous », déclare l’homme avec une cicatrice entre les deux yeux. Sollicitée par tous, Assa Traoré accède difficilement à la tribune pour un dernier hommage. « Ce n’est pas la marche de la famille Traoré, c’est la vôtre », souffle-t-elle reconnaissante, avant de poursuivre, combative : « Tout part d’ici, de cette lutte locale. Mais au-delà, tous ensemble, nous pouvons renverser ce système ! »

Descendu de scène, Youcef Brakni s’impatiente. Les ateliers de discussion pour penser et imaginer les prochaines luttes devraient déjà être commencés. Mais l’homme à la longue silhouette connaît la suite : « Le 11 mai, nous nous étions rassemblés à la bourse du travail de Paris pour un état des lieux. À la rentrée, nous passerons à l’action, cette fois-ci sur l’écologie. Nous devons la repolitiser, sortir des postures individuelles, arrêter les arrangements avec le capitalisme. » Le doute nimbe toujours l’affaire Adama Traoré, mais ce qui est né à Beaumont-sur-Oise et y a grandi est déjà une victoire.

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