Sept raisons de refuser la privatisation d’ADP

Si le gouvernement a peu d’arguments pour justifier la cession des aéroports, les opposants, eux, en ont beaucoup.

Michel Soudais  • 3 juillet 2019 abonné·es
Sept raisons de refuser la privatisation d’ADP
© crédit photo : GODONG/BSIP/AFP

Avec 480 300 soutiens recensés par le Conseil constitutionnel au 1er juillet, le référendum contre la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP) est bien parti. S’il importe de ne surtout pas relâcher l’effort, les très nombreuses raisons de refuser ce nouveau bradage d’un « bijou de famille » devraient permettre d’atteindre, le 13 mars prochain, les 4 717 396 signatures requises pour contraindre le gouvernement à soumettre cette privatisation à référendum ou à renoncer à son projet.

Un coup d’arrêt aux privatisations. Cet argument politique est avancé par nombre d’opposants qui rêvent, avec ce référendum d’initiative partagée (RIP), d’obtenir une victoire sur Emmanuel Macron. « Empêcher la privatisation d’ADP, c’est stopper l’abandon au secteur privé de notre économie voulu par Macron au profit de ses amis des multinationales et de la finance », écrit ainsi l’association Attac, persuadée qu’un succès empêcherait le gouvernement de concrétiser les « autres projets [qu’il a] sous le coude comme les barrages et les ports ».

Une question de souveraineté. ADP est notre première frontière avec l’étranger. Ses aéroports parisiens voient passer chaque année 105,3 millions de passagers. Comment imaginer privatiser une frontière ? Même aux États-Unis, le contrôle des grandes plateformes aéroportuaires reste public en raison de leur caractéristique d’infrastructure d’intérêt général au service de l’aménagement du territoire.

Un enjeu écologique. En Île-de-France, le groupe ADP, c’est trois aéroports (Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly, et Paris-Le Bourget), un héliport (Issy-les-Moulineaux) et dix aérodromes (1), soit 6 680 hectares de bâtiments, de terrains, de pistes et d’infra-structures. Ou encore l’équivalent des deux tiers du territoire de la ville de Paris. « Si Aéroports de Paris est privatisé, ça va probablement devenir la plus grande propriété privée de France sur laquelle on pourra bétonner et kéroséniser », craint l’historien et politologue Patrick Weil (2), cofondateur de l’Association pour le référendum ADP, pour qui ce serait « donner des armes [à nos] ennemis » dans la « guerre mondiale contre le réchauffement de la planète ».

Un enjeu pour l’aménagement du territoire. Les aéroports privatisés, pointent les compagnies aériennes, privilégient les gros-porteurs longs courriers, plus rémunérateurs pour les boutiques et services des aéroports, au détriment des petits et moyens courriers (lignes intérieures ou intra-européennes). En Île-de-France, ADP joue également un rôle considérable (il représente 5 % du PIB régional et 8 % de l’emploi régional). Fort de ses « 411 hectares de réserves foncières dédiées aux futurs développements immobiliers », le groupe juge possible de doubler sa surface de bureaux (1,5 million de mètres carrés) déjà exploitée : « À l’horizon 2024, le centre d’affaires d’Orly est une alternative extrêmement crédible à La Défense », se félicitait ainsi son PDG, Augustin de Romanet, devant un parterre de financiers et de banquiers, début avril.

Le précédent des autoroutes. La privatisation des autoroutes en 2006, qui a fait perdre plusieurs milliards d’euros aux contribuables et s’est soldée par une forte augmentation des péages, est dans tous les esprits. Un rapport de l’Autorité de la concurrence publié en 2014 a montré que le taux de distribution des dividendes des sociétés d’autoroutes privées était bien supérieur (95 %) à ce qu’il était quand l’État en était l’actionnaire principal (57 %). Dans le cas d’ADP, les compagnies aériennes craignent une envolée des taxes aéroportuaires, forcément répercutées sur le prix des billets pour leurs passagers. À raison : la loi Pacte pérennise en effet le système de double caisse, qui permet à ADP de déclarer séparément ses recettes de redevances aéroportuaires et ses recettes commerciales générées notamment par ses 382 boutiques (490 millions d’euros de loyers en 2018). Ce système permet aux sociétés aéroportuaires de ne pas prendre en compte leurs recettes marchandes pour couvrir, comme la loi les y oblige, leurs frais (rémunération des emprunts, investissements, risques…) même si ces recettes permettent de les combler. Les concessionnaires pourront donc faire exploser en toute légalité les redevances aéroportuaires tout en s’enrichissant sur les recettes commerciales que les importantes réserves foncières d’ADP permettent d’envisager. Air France, dont la quasi-totalité du trafic passe par les aéroports parisiens, craint d’en souffrir.

Un non-sens économique. La cession par le gouvernement des participations de l’État dans ADP, mais également dans Engie et la Française des jeux, est destinée à abonder le Fonds pour l’innovation et l’industrie, lancé en 2018. Doté de 10 milliards d’euros, ce fonds doit produire des revenus annuels de 250 millions d’euros. Or ADP à lui seul reverse en moyenne chaque année à l’État 174 millions d’euros. Le financement d’« innovations de rupture » dans l’industrie est donc possible sans que l’État se sépare de cet actif stratégique. Depuis leur introduction en Bourse en 2006, la valeur des actions ADP a été multipliée par quatre. En 2013, l’État avait déjà cédé 13 % d’ADP à Vinci et au Crédit agricole : en mars dernier, lors de l’examen de la loi Pacte à l’Assemblée, les députés de La France insoumise avaient noté que ces actions étaient valorisées du double. Preuve que l’État aurait mieux fait de les conserver.

Un problème démocratique. Mi-mai, la Cour des comptes, dans son rapport sur l’exécution du budget 2018, a vertement critiqué la multiplication par le gouvernement des fonds sans personnalité juridique, dits « FSPJ ». Pointant tout particulièrement le Fonds pour l’innovation et l’industrie, les magistrats de la rue Cambon estiment que ce dernier repose sur « une mécanique budgétaire inutilement complexe » et pourrait « trouver sa place dans le budget général » de l’État. Selon eux, les FSPJ – 154 structures de ce type existent actuellement – constituent en outre un moyen de soustraire de très grosses masses financières au contrôle des parlementaires, ce qui n’est pas sans poser un problème démocratique.


(1) Chavenay-Villepreux, Chelles-Le Pin, Coulommiers-Voisins, Étampes-Mondésir, Lognes-Émerainville, Meaux-Esbly, Persan-Beaumont, Pontoise-Cormeilles-en-Vexin, Saint-Cyr-l’École, Toussus-le-Noble.

(2) Invité de « la Midinale » de Regards, le 20 juin.

Politique
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