L’autre monde uni contre le G7

Pendant cinq jours, des dizaines d’organisations ont représenté l’opposition au modèle capitaliste incarné par le sommet des dirigeants à Biarritz. Pacifisme, détermination, mais aussi débats parfois vifs et échanges ont nourri la réflexion et les luttes à venir.

Romain Haillard  et  Vanina Delmas  • 28 août 2019 abonné·es
L’autre monde uni contre le G7
© La marche des décrocheurs de portraits pour dénoncer l’inaction climatique, pourtant interdite, a pu se dérouler, le 25 août à Bayonne.Marie Magnin/Hans Lucas/AFP

E htik bestelako mundu bat sortzen ». « Non au G7, pour un autre monde ». « No al G7, construyendo otro mundo desde EH ». Le basque, le français et l’espagnol. Pendant les six jours du contre-G7, trois langues se sont côtoyées pour porter le même message vital de résistance à la « mascarade » du sommet de Biarritz. La cité impériale s’est figée au rythme du vrombissement incessant des hélicoptères et des sirènes de police. La grande plage mythique est devenue un désert, le bleu de l’océan a cédé la place au bleu des gyrophares, et impossible de faire un pas sans se retrouver face aux forces de l’ordre quadrillant chaque entrée dans la « zone 2 de protection » – sans parler de la « zone 1 de sécurité renforcée », autour du luxueux Hôtel du Palais et du casino. Un bunker balnéaire devenue une vitrine à ne surtout pas briser pour qu’Emmanuel Macron accueille les dirigeants d’Allemagne, des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, de l’Italie et du Japon, et qu’ils discutent des tracas du monde. « Dès que nous avons su que le Pays basque avait été choisi pour ce sommet, nous avons demandé son annulation, car il est inacceptable que ces sept dirigeants décident pour 99 % de la population, s’indigne Eñaut Aramendi, du syndicat basque LAB, et organisateur du contre-sommet. Ce G7, qui se déroule dans un État autoritaire est illégitime, et hors-sol pour parler des injustices et des inégalités ! » Emmanuel Macron avait instauré la lutte contre les inégalités comme thème principal de ce grand raout. Vaste programme qui n’a abouti qu’à de vagues promesses.

À trente kilomètres des apparats, la même pression policière étreint la ville d’Hendaye et ses environs afin d’étouffer dans l’œuf toute tentative de débordement des milliers de militants réunis au contre-G7. Pour assouvir la soif de réflexion et d’échanges des militants qui ont fait le déplacement, plus de cent conférences et ateliers ont eu lieu autour des sept thèmes majeurs de l’altermondialisme : la sortie du capitalisme, l’écologie, la fin du patriarcat et de l’autoritarisme, la solidarité entre les peuples, un monde décolonial sans discriminations et l’abolition des frontières. Galvanisant.

Les artisans de ce contre-sommet voulu pacifique viennent des deux côtés de la frontière franco-espagnole. La plateforme basque G7 EZ ! (« G7 Non ! » en français) est née la première, dès juin 2018, et a réuni une cinquantaines d’associations, de syndicats et de partis politiques. Dans la foulée, Attac France et le Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid) ont lancé un appel commun pour mobiliser dans l’Hexagone, et créé la plateforme Alternatives G7. Les premières rencontres ont eu lieu au printemps, ne laissant que quelques mois pour trouver la bonne harmonie entre toutes les organisations nécessaire au succès de ce contre-sommet. « C’était une réussite avant même qu’il commence : faire travailler des dizaines d’organisations avec des cultures, des histoires différentes, des modes d’actions différents n’était pas évident, mais nous avons vraiment construit quelque chose d’important », affirme Eñaut Aramendi. En effet, la vraie prouesse de ce contre-sommet est la force des liens tissés avec les Basques. « Nous étions d’accord pour ne pas être seulement dans la contestation politique pure, mais plutôt montrer que nous sommes porteurs d’alternatives concrètes au système », précise Sébastien Bailleul, l’un des porte-parole de la plateforme Alternatives G7 et délégué général du Crid.

Pour le reste, il a fallu de la patience, des discussions, de la confiance et des compromis, notamment avec les autorités françaises, « qui ont joué la montre » concernant le lieu d’ancrage du contre-sommet. Les militants voulaient Bayonne. Refus catégorique, trop proche de Biarritz. Les villes de Dax ou Pau sortent du chapeau. Le compromis est trouvé avec la ville d’Hendaye. Des ateliers se déroulent dans l’école, investie par la nouvelle génération basque (lire ici), les rencontres intergalactiques de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes se sont délocalisées pour l’occasion au port de Caneta, et les conférences ont pu se tenir au Ficoba, le centre des congrès d’Irún, côté espagnol. Un symbole fort de cette frontière qui voit errer de nombreux migrants, frontière imposée mais imaginaire pour les Basques. Lors de la grande manifestation du samedi 24 août, près de 15 000 personnes ont traversé le pont Saint-Jacques sur lequel deux panneaux fléchés symétriques indiquaient de chaque côté sur un ton de défi : _« Euskal Herria » (« Pays basque »). Un groupe de joaldun, personnage traditionnel basque portant une peau de brebis et une cloche sur le dos, a rythmé la fin de la marche, et déchiré des banderoles dénonçant les barrières imposées aux peuples. Appareil photo autour du cou, Tatiana remonte rapidement le long cortège et ne se dépare pas de son sourire. Ce contre-sommet « où toutes les générations de militants se côtoient » a exalté la jeune Bordelaise, membre de Youth for Climate : « Je suis contente que cette manifestation ait réuni beaucoup de monde, qu’elle ait été familiale et calme. Mais je sais que beaucoup sont déçus, ont le sentiment de ne pas avoir suffisamment exprimé leur colère, contesté le système ! »

Des dissensions sur les stratégies à adopter ont émergé. Les plateformes organisatrices avaient rédigé un consensus d’action pour encadrer chaque mobilisation, fondé sur la non-violence, le pacifisme, tout en respectant les cultures militantes de chacun. Certains, plus radicaux, n’ont pas accepté ces consignes, et attendaient des actions coup de poing plus significatives. Comment doser la violence ? Dès le premier jour, le 21 août, une délégation de gilets jaunes a déclaré y voir « une forme de désolidarisation vis-à-vis des formes d’action qui font le mouvement des gilets jaunes, et tant d’autres avant lui ». L’inquiétude gagnait les rangs à la moindre évocation d’une manifestation non déclarée, comme celle des rencontres intergalactiques de NDDL pendant laquelle la foule a porté une réplique de l’Ambassada, cabane emblématique de la ZAD. Ou celle non mixte organisée par les féministes. Ou la manifestation sauvage à Urrugne, camp de base des militants, qui s’est terminée en gazage de l’espace de vie par les forces de l’ordre. Sur ce campement, paroles et tags résumaient cette opposition entre les « collabos pacifistes » et les « blax blox terroristes ». Koupaïa, venue de Lorient et militante à Youth for Climate, est très mitigée. « C’est inquiétant de voir que la gauche est toujours aussi divisée. En même temps, faire vivre 6 000 personnes en autogestion sur un camp, dans le respect de chacun et de l’environnement, en organisant de la transmission de savoir, c’est très fort symboliquement. C’est aussi ça, la résistance face à la déconnexion totale du G7 à Biarritz ! » Unai, jeune Basque organisateur, gardait un œil sur la rue près de l’école élémentaire d’Hendaye où se déroulaient les ateliers. « S’il y a une connerie de faite dans le coin, ça donne un blanc-seing aux flics pour débarouler et tout ça disparaît. Chaque lutte est légitime, nous ne devons pas nous dissocier. Nous avons un ennemi commun, une organisation commune, nous devons nous écouter et veiller à ne pas faire d’action hors sol sans concertation. »

Le recours à la désobéissance civile aurait pu être un autre compromis, entre les différentes mouvances de militants. Le dimanche 25 août devait y être consacré avec l’occupation de sept places publiques pour en faire une zone arc-en-ciel au-delà des secteurs verrouillés et dénoncer les limitations des libertés publiques. Celle-ci a été annulée par les organisateurs, notamment parce que l’un des membres a été arrêté, à cause d’une interdiction de territoire français temporaire qui ne lui avait pas été notifiée. Heureusement, les écolos d’ANV-COP21 et Bizi! ont réussi leur « Marche des portraits » dans les rues de Bayonne, où toute manifestation avait normalement été interdite. Comme si une sorte de pacte informel avait été scellé, les forces de l’ordre postées à l’entrée des ponts de la ville n’ont pas cillé et ont observé de drôles de déambulations : des « badauds », errant dans le quartier ancien, avec un cadre sous le bras, tantôt emballé dans du papier kraft, du papier cadeau, tantôt dans du tissu. À 10 heures, des cris aux fenêtres ont donné l’alerte et certains paquets ont été déballés, révélant sept portraits présidentiels, réquisitionnés dans les mairies de toute la France ces derniers mois. Ils ont été fièrement brandis, tête à l’envers pour rappeler qu’Emmanuel Macron « décroche de ses engagements climatiques », et dénoncer la criminalisation des militants – 17 procès de décrocheurs sont prévus.

Valentine, 56 ans, a suivi le contre-sommet avec sa mère, 90 ans, notamment pour la conférence sur « les médias face à la mutation sécuritaire » (à laquelle Politis a participé) et celle sur « les migrations depuis la perspective féministe ». Pourtant militante avertie, elle n’en finit pas d’être choquée par tout ce qu’elle a observé à Biarritz, à Hendaye ou Bayonne : des SDF dégagés par des policiers pour faire place nette, une fête dans le quartier des Halles comme si de rien n’était, des CRS logés parfois à plus de 50 kilomètres de là, faisant fi de toute conscience écologique, les arrestations de militants qu’elle connaît bien, les forces de l’ordre présentes partout, même lors d’actions militantes censées rester discrètes… Si sa mère ne se faisait pas d’illusion sur la portée du contre-sommet, Valentine espérait un tout petit électrochoc : « J’estime que les altermondialistes sont dans le juste, dans le réel. Alors, les voir méprisés de cette façon et criminalisés à tout bout de champ me désespère. Et d’avoir vu par moi-même le fossé de plus en plus grand qui sépare ces deux visions du monde, d’avoir fait l’expérience de militer dans un pays dit libre mais dans lequel il faut prendre toutes sortes de précautions pour manifester, m’a dans un premier temps choquée, puis donné envie de me radicaliser encore plus ! », affirme la Landaise, assumant ses tendances anarchistes. Si certains s’interrogent quant à l’utilité de ce genre de contre-sommet, il aura au moins eu le mérite de défier l’arsenal policier hors norme, et de prouver que la résistance anticapitaliste est vivante, multiple et déterminée. À l’image des slogans-jeux de mots autour du G7 lus un peu partout : « G7 centimes pour finir le mois ! », « G7 envie de parler d’écologie ! », mais aussi « G7 envie de tout péter ! »

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