La jeunesse basque, ferment de luttes

Huit ans après l’abandon de la lutte armée par ETA, une nouvelle génération de militants de gauche a pris la relève, très active politiquement et culturellement.

Romain Haillard  • 28 août 2019 abonné·es
La jeunesse basque, ferment de luttes
© photo : « G7 EZ », ici à Hendaye, « G7 NON » en langue basque.crédit : Romain Haillard

Dans la cour d’une école d’Hendaye, en surplomb du petit port de Caneta, Unai Arkauz s’agite. Un collier de barbe et une casquette encadrent le visage imperturbable de ce militant chevronné. Il a participé à la fondation d’Aitzina – organisation des jeunes abertzale (« patriote » en basque) de gauche du Pays basque Nord. Le regard impassible mais alerte, il marche à vive allure sans jamais s’arrêter. « Y a-t-il un traducteur français-basque pour un atelier ? » « Et le journaliste avec sa caméra, là, il a une accréditation ? » Entre deux problèmes à régler, l’indépendantiste se pose pour griller une cigarette. « Le G7 est un tsunami, il faut surfer dessus », lance-t-il avec un sourire en coin, les yeux abrités par son couvre-chef qu’il ne quitte jamais. Le jeune homme de 25 ans s’enthousiasme : « Le contre-sommet a été l’occasion de rassembler la jeunesse basque en lutte, de trouver un second souffle. » Ce souffle a un nom, il flotte à la gauche d’Unai sur une bannière en lettres rouges, « Gazte Gunea », l’espace des jeunes, la relève, le sel du pays.

« Certains parmi nous ne parlent pas euskara, cet espace veut rassembler largement. Il dépasse les structures partisanes, mais nous partageons l’indépendantisme, le féminisme et le socialisme », explique le Basque à la bonne carrure, T-shirt « Justice pour Adama » sur les épaules. Le membre d’Aitzina met un terme à sa pause, il doit se rendre à une conférence. Deux enfants de détenus vont parler de leur vécu. Les preso (prisonniers politiques) constituent un dénominateur commun pour cette jeune génération. Aucun d’eux n’a connu l’intensité du conflit armé engagé par ETA (1), groupe armé indépendantiste d’inspiration marxiste, contre la France et l’Espagne, mais tous portent sur leurs épaules soixante années de lutte. Sous le préau de l’école, une carte montre l’éparpillement des détenus, mais également l’éloignement de leur pays et de leur famille. Actuellement, 250 militants et militantes sont enfermés dans 52 prisons. Cette question concerne Unai. Leur père, à lui et à son frère jumeau, est incarcéré depuis leur naissance.

Une quarantaine de personnes viennent écouter les « enfants sac-à-dos ». L’expression désigne les filles et les fils de preso, les voyages sur de longues distances, la charge émotionnelle, le fardeau à porter. « J’ai toujours connu la prison. Ma mère et mon père, membres d’ETA, ont été enfermés dès mon plus jeune âge, commence calmement un garçon aux cheveux blonds. Quand mes camarades s’amusaient le weekend, moi je me préparais à rendre visite à mes parents. Je n’ai jamais ressenti de honte, mais je savais que j’étais différent. » Aitzol Gil de San Vincente a 16 ans et de son regard se dégage en effet une candeur révolue, inhabituelle dans les yeux d’un adolescent. « J’en suis convaincu, notre génération les libérera », affirme Unai Arkauz une fois la conférence terminée. Une détermination partagée par Aitzol, conscient d’incarner la relève. « La jeunesse a toujours constitué une force révolutionnaire très importante au Pays basque. C’est notre heure », avance le blond à la mâchoire volontaire.

Le soleil se couche et, en face de l’école, ses rayons déclinants embrasent la baie de Txingudi. Les jeunes ferment l’école et ouvrent le gaztetxe, « maison de la jeunesse » en euskara. Ces squats autogérés représentent un lieu de sociabilisation incontournable dans le parcours d’un militant basque. « J’y ai fait mes classes, rapporte le fondateur d’Aitzina. C’est là que j’ai appris à parler en réunion, à coordonner et à organiser des événements. » Celui d’Hendaye se situe à une centaine de mètres de l’école. Passé un petit escalier, une modeste cour de verdure se dévoile. Au fond, un artiste jongle entre un ordinateur, une table de mixage et une flûte, tandis que des adolescents dansent d’un pas léger, cadencés par les applaudissements des spectateurs. Une grande banderole souhaite la bienvenue aux visiteurs et affiche les valeurs de tolérance défendues par des symboles féministes et contre les frontières.

« Le gaztetxe, c’est avant tout culturel, avance une femme aux longs cheveux châtain foncé. Mais c’est déjà politique. Par des biais différents, ça ouvre vers d’autres univers. » Joana Detchart a 23 ans et fait aussi partie de l’équipe de Gazte Gunea. « Chacun peut s’y retrouver, dans la gauche abertzale », souligne la militante membre de Diakité, collectif bayonnais d’aide aux migrants. « Je ne maîtrise pas parfaitement l’euskara, du moins pas autant que le français, et je ne suis pas en première ligne pour la libération des prisonniers. Mais je me bats pour mon Pays basque », explique-t-elle, les yeux dans les yeux. Pour elle, l’engagement des jeunes générations tient des différentes oppressions subies : « Être jeune, c’est déjà vivre dans la précarité. Être basque, c’est vivre dans un État qui ne nous reconnaît pas pleinement comme tel. Rapidement, tu saisis que tu vas passer ta vie à lutter contre ça. Être politisé est dans notre ADN, c’est ce qu’on est. »

Des propos rapidement mis à l’épreuve. La musique s’arrête, les danses avec, tout le monde écoute. Un jeune abertzale rapporte l’arrestation de trois camarades. En deux temps trois mouvements, la foule s’élance dans les rues pour bloquer le rond-point le plus proche. Plus aucune voiture ne passe. Intransigeance, méthode et concertation. Sur le passage, les jeunes discutent. Pas question de se lancer dans une manifestation sauvage sans avoir pleinement mesuré les risques. La nouvelle génération n’a pas renoncé à la radicalité, mais se comporter comme des têtes brûlées ne leur ressemble pas. « Nous avons toujours utilisé la violence politique à des fins stratégiques », expose Unai Arkauz, toujours très calme, pour ensuite compléter : « La meilleure des manières reste de faire des actions faisables par énormément de monde et surtout compréhensibles par tous. » À 50 militants mobilisés au pied levé, difficile d’engager un rapport de force efficace. Ils se replient sur le port.

Un rapport à l’illégalisme et à la violence hérité de l’expérience ETA ? Aitzol Gil de San Vincente le pense. « S’il y a eu un renoncement à la lutte armée, ce n’est pas pour des raisons de légitimité, mais pour des considérations stratégiques. Elle n’est plus pertinente pour conquérir nos objectifs », précise le jeune indépendantiste. « Notre mouvement a une longue histoire de sacrifices, d’exilés, de déportés, de torturés, de morts… Nous devons à ces gens nos futures victoires. Les États nous disent que ne devons renoncer à notre histoire. C’est impossible, nous sommes nés de cette lutte. Nous construirons l’avenir, en gardant notre passé au présent. » Changer son fusil d’épaule, mais sûrement pas baisser les armes.


(1) ETA : Euskadi ta Askatasuna, en français « Pays basque et liberté ».

Société
Temps de lecture : 6 minutes