Climat : le rapport de force

Des millions de jeunes dans la rue, des convergences avec les luttes sociales, une radicalisation croissante : le mouvement climatique pèse de plus en plus sur les décideurs.

Patrick Piro  • 25 septembre 2019 abonné·es
Climat : le rapport de force
© crédit photo : Des habitants des îles du Pacifique, à Sydney, en Australie. ncrédit : P. Parks/AFP

Le président Macron a quelque peu perdu son sang-froid. Lundi 23 septembre, en route vers le sommet sur le climat organisé par les Nations unies à New York, il a sèchement tancé les jeunes en grève scolaire « pour le climat », suivie par plus de 4 millions de personnes trois jours plus tôt à travers le monde. Il les préférerait dans l’action collective, par exemple, « que tous les vendredis on fasse de grandes opérations de ramassage sur les rivières ou les plages corses ». Alors qu’en 2018 la France a dépassé de 4,5 % son budget d’émission de CO2 par rapport à ses engagements, il désigne sa cible : « Qu’ils aillent manifester en Pologne ! » Le pays charbonnier fait obstacle à l’adoption d’un agenda « zéro carbone en 2050 » par l’Union européenne. Il y a six mois, un Macron condescendant demandait aux jeunes rencontrés dans le cadre du « grand débat » de « l’aider à mener la bataille climatique ». Il faut croire qu’il n’a pas réussi à les convaincre de sa bonne foi.

La pression monte sur les politiques un peu partout dans le monde, alors que le mouvement climatique est parvenu, en l’espace d’une année, à construire un rapport de force inédit. En France, la coïncidence n’est pas fortuite : fin août 2018, c’est au moment où Nicolas Hulot démissionne du gouvernement, reconnaissant son impuissance à en faire bouger significativement la politique en faveur de l’écologie, que les mobilisations climatiques prennent une ampleur nouvelle. Les protestataires qui battent le pavé par dizaines de milliers ne sont, pour la plupart, encartés dans aucune organisation. L’émergence des gilets jaunes en novembre 2018, loin de cliver les luttes, approfondit concrètement la prise de conscience qu’urgence sociale et urgence climatique sont deux facettes d’une même crise systémique : « Fin du monde et fin du mois, même combat ». Début 2019, les mobilisations s’amplifient spectaculairement avec l’entrée en scène inattendue des jeunes, qui suivent, d’abord en Europe puis un peu partout dans le monde, l’appel de la jeune Suédoise Greta Thunberg à faire « la grève de l’école pour le climat » tous les vendredis.

Et les mauvaises nouvelles du front scientifique renforcent l’exaspération des contestataires. Après un été caniculaire dans l’hémisphère nord, un rapport publié le 22 septembre par l’Organisation météorologique mondiale montre une accélération du réchauffement planétaire. Les cinq dernières années sont les plus chaudes depuis les premières mesures de températures, il y a cent cinquante ans.

L’impuissance des États nourrit une radicalisation militante qui les rend de plus en plus nerveux. La victoire de la mobilisation contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes l’illustre, tout comme le développement d’une répression contre les militants écologistes. Les mouvements Alternatiba et ANV-COP 21 ancrent depuis quatre ans la désobéissance civile non-violente comme un pilier de leur action. La mouvance Extinction Rebellion en a fait sa raison d’être. Née en octobre 2018 au Royaume-Uni, elle s’est propagée comme une traînée de poudre, déjà représentée dans plus de 50 pays. Depuis 2015, le mouvement Ende Gelände (« Le bout du chemin ») organise tous les ans de spectaculaires actions de blocage de sites charbonniers en Allemagne. Des groupes évoquent des actions de sabotage industriel.

Autre dynamique inédite, en France : le succès de L’Affaire du siècle, fin 2018. Quatre associations annoncent une action en justice contre l’État pour inaction climatique. Deux millions de signatures en quelques semaines. Dans le même temps, Damien Carême, le maire écologiste de Grande-Synthe (Nord), saisit le Conseil d’État sur le même argument.

Le front judiciaire, activé désormais dans plusieurs pays dans le monde, avait été ouvert quelques mois auparavant aux Pays-Bas, où la justice a ordonné au gouvernement de revoir à la hausse ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et lundi dernier, ouverture à New York le sommet spécial de l’ONU sur le climat, seize enfants, dont Greta Thunberg, déposaient une plainte devant le Comité des droits de l’enfant des Nations unies pour dénoncer la passivité des gouvernements.

Le rapport de force climatique commence à connaître une traduction politique avec les récentes poussées du vote écologiste dans certains pays de l’UE lors du scrutin européen de mai (13,2 % en France), en Allemagne lors d’élections locales, en Belgique, au Danemark… Des maires de grandes villes se rangent du côté des jeunes grévistes du climat, comme l’affirme la tribune signée jeudi dernier par Anne Hidalgo (Paris), Bill de Blasio (New York), Eric Garcetti (Los Angeles) et Frank Jensen (Copenhague). Et, phénomène nouveau, des marques commerciales se joignent à la grève : le 20 septembre, les 107 magasins de Patagonia (vêtements de sport), sont restées fermées dans le monde, tout comme les boutiques du glacier Ben & Jerry’s et des cosmétiques Lush.


Quatre millions de participants dans le monde

Le 20 septembre, la jeunesse s’est mobilisée pour le climat sur tous les continents, avec des événements dans 185 pays, rassemblant 4 millions de participants. La journée de protestation a démarré dans des îles du Pacifique, en première ligne face à l’élévation du niveau des eaux. Au Vanuatu, aux îles Salomon et à Kiribati, des enfants scandaient ce même slogan : « Nous ne coulons pas, nous nous battons ! » Sur les réseaux sociaux, on a vu des images frappantes venues d’Australie : des foules compactes rassemblées dans des parcs de Sydney, de Melbourne et de dizaines d’autres villes. Plus de 300 000 personnes ont défilé dans l’île-continent. C’est deux fois plus qu’en mars dernier. À Bangkok, capitale d’une Thaïlande gouvernée par une junte militaire, 200 jeunes ont réalisé un « die-in » devant le ministère de l’Environnement. La jeunesse africaine a aussi marché pour le climat, de Kampala (Ouganda) à Johannesburg (Afrique du Sud) en passant par Nairobi. Dans la capitale du Kenya, certains jeunes étaient vêtus d’impressionnants costumes faits de bouteilles en plastique, une manière de dénoncer la dangerosité d’une matière omniprésente dans leur vie quotidienne.

En Europe, c’est l’Allemagne qui a connu la plus grande mobilisation, avec 1,4 million de personnes sur les places de Hambourg, Berlin, Fribourg… Aux États-Unis, plus de 250 000 personnes, dont Greta Thunberg, se sont retrouvées dans les rues de New York, où les chefs d’établissement avaient autorisé les élèves à sécher les cours.

Matthias Hardoy

Écologie
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