Nathacha Appanah : L’île des enfants terribles

Dans Le Ciel par-dessus le toit, Nathacha Appanah imagine à partir de la tragédie de son île Maurice natale une fable tragique à la beauté de marée noire. Où l’enfance se noie.

Anaïs Heluin  • 3 septembre 2019 abonné·es
Nathacha Appanah : L’île des enfants terribles
© crédit photo : gallimard/francesca mantovani

L’enfance, chez la Mauricienne Nathacha Appanah, est une île. Solitaire, incomprise et à la dérive, elle cristallise les grands problèmes de la terre natale de la romancière, et plus largement de l’océan Indien. Elle en est le prisme d’observation privilégié. Une sorte de miniature où la pauvreté et la quête des origines prennent des formes particulières, très animales. Presque monstrueuses.

On avait quitté cette auteure avec Tropique de la violence, où elle dressait d’une manière quasi-documentaire le sombre portrait d’une jeunesse mahoraise livrée à elle-même. D’une enfance déjà abîmée par la drogue, noyée dans l’alcool. Elle revient avec un récit qui s’ouvre par « Il était une fois », mais dont l’épigraphe est un écrou de la maison d’arrêt de C., qui place l’ensemble sous le signe de l’authentique. De la tragédie vécue.

Si la terre se dérobe dans Le Ciel par-dessus le toit, le récit aussi. Il emprunte des sentiers étranges, où l’horreur se mêle au merveilleux. Dans « un pays qui avait construit des prisons pour enfants parce qu’il n’avait pas trouvé mieux que l’empêchement, l’éloignement, la privation, la restriction, l’enfermement […] pour essayer de faire de ces enfants-là des adultes honnêtes, c’est-à-dire des gens qui filent droit », il était donc une fois Loup.

Pas drogué, pas voleur ni meurtrier, comme le sont souvent les jeunes héros de Nathacha Appanah, Loup est simplement doté d’une sensibilité, d’une intelligence si particulière qu’elle l’isole. Mais cet adolescent qui semble condamné à l’enfance ne se résout pas à son insularité. Dès les premières pages du Ciel par-dessus le toit, il est en effet arrêté par la police pour avoir provoqué un accident en roulant à contresens sur une autoroute, dans le but d’aller rejoindre sa sœur, Paloma.

Prétexte au déploiement du récit, l’accident fait surgir une autre jeunesse problématique, enfouie depuis longtemps : celle de la mère de Loup, Éliette, devenue « Phénix » après avoir fui des parents qui lui imposaient une enfance modèle. Une vie rythmée par des fêtes et autres rituels sociaux des classes privilégiées, coupées de la réalité vécue par le reste du pays plus ou moins imaginaire.

Au plus près de la petite famille dysfonctionnelle, éparpillée, que forment Phénix, Loup et Paloma, un narrateur à la troisième personne pioche dans le passé selon une logique mystérieuse. Comme si, en même temps que les protagonistes, il activait sa mémoire imparfaite, pleine d’angles morts qui contraignent la langue à prendre des détours. À ruser jusqu’à atteindre sinon une clarté totale, du moins une belle éclaircie.

Changeant légèrement de rythme et de couleur selon le protagoniste qu’elle décrit, cette langue très littéraire offre aussi une sensation de quotidienneté. D’une simplicité qui peut aussi bien s’épanouir dans les rues de l’île Maurice que dans celles de Paris ou d’ailleurs. Cette écriture très singulière, à la fois âpre et tendre, est pour beaucoup dans les beaux paradoxes du Ciel par-dessus le toit. Dans sa manière de dire la force de la vie depuis les chemins qui s’en écartent.

Le Ciel par-dessus le toit, Nathacha Appanah, Gallimard, 128 pages, 18,90 euros.

Littérature
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