Netanyahou dans le piège de l’extrême droite

Le Premier ministre ayant échoué à monter une coalition après les élections d’avril, les Israéliens votent de nouveau. Les enjeux n’ont pas bougé, avec les mêmes outrances anti-arabes.

Salomé Parent  • 11 septembre 2019 abonné·es
Netanyahou dans le piège de l’extrême droite
© photo : L’ultranationaliste Avigdor Lieberman devrait une nouvelle fois jouer les (dé)faiseurs de rois.crédit : Amir Levy/Getty Images/AFP

Il est des moments qui marquent la vie politique d’un pays. Le 29 mai, la 21e Knesset votait sa propre dissolution, plongeant le pays dans une situation inédite : pour la première fois de son histoire, en 2019, Israël aura vécu deux élections législatives en quelques mois. Le 17 septembre, les Israéliens sont rappelés aux urnes. Espoir d’une nouvelle chance pour certains, cette dissolution est avant tout l’échec d’un homme, Benyamin Netanyahou. Malgré les 35 sièges gagnés par le Likoud aux élections du 9 avril, l’indéboulonnable (ou presque) Premier ministre n’avait pas réussi à former une coalition dans le délai escompté. « Bibi » avait pourtant mis les ultra-orthodoxes et la droite nationaliste et religieuse de son côté, mais il aura suffi d’un seul homme pour le faire vaciller.

Cet homme, c’est Avigdor Lieberman, tour à tour compagnon de route et ennemi politique numéro un de Benyamin Netanyahou. Ultranationaliste tristement célèbre pour ses sorties racistes, l’ancien ministre de la Défense, qui a fait de la sauvegarde de la laïcité son principal cheval de bataille, a juré de rendre le service militaire obligatoire pour les jeunes haredim (ultra-orthodoxes). Quelques heures après les résultats du vote, le président du parti Beytenou (« Notre Maison ») avait donc annoncé la couleur : rejoindre le gouvernement Netanyahou, d’accord, mais à condition que son projet de loi sur la conscription des « craignant-Dieu » soit immédiatement mis en application.

C’est là que tout s’est compliqué pour le Premier ministre. Malgré ses efforts désespérés pour trouver un accord de dernière minute, Lieberman et les religieux ont chacun refusé de plier aux exigences de l’autre. Sans Lieberman, pas de majorité, donc, mais une dissolution de la Knesset pour éviter à « Bibi » de voir son cauchemar se réaliser : que la charge de former un nouveau gouvernement revienne à son principal rival, l’ancien chef d’état-major Benny Gantz.

À droite, Benyamin Netanyahou est sorti peut-être affaibli de la dissolution, mais pas à terre. Rusé et prêt à tout pour remporter une nouvelle fois les élections, il a mené une campagne aussi sulfureuse que la précédente : visite aux colons d’Hébron, promesse d’annexer une partie de la Cisjordanie… sans oublier – un classique désormais – la désignation systématique de ses adversaires et des journalistes comme des « gauchistes » ou des « pro-arabes » : des ennemis d’Israël.

Au sein du Likoud, certains le critiquent discrètement, mais personne n’envisage sérieusement l’après-Netanyahou. En dépit de ses ennuis judiciaires (il risque une triple inculpation en décembre pour plusieurs affaires de corruption), l’actuel Premier ministre reste adoré par sa base : quiconque ose se frotter au « roi Bibi » prend le risque de se faire haïr par ses supporters et de voir sa carrière politique en pâtir. Au parti, ceux qui rêvent de le voir tomber préfèrent donc attendre, convaincus que la justice finira par avoir raison du vieux loup. À la veille du scrutin, les sondages donnaient le Likoud au coude-à-coude avec Bleu et Blanc, la formation centriste de Benny Gantz et de l’ancien présentateur télé et ministre des Finances Yair Lapid.

Pour les alliés de Netanyahou, les élections du 17 septembre devraient peu ou prou ressembler à celles du 9 avril. Les électeurs ultra-orthodoxes suivant massivement les consignes de vote de leurs rabbins, les Séfarades voteront à nouveau pour le parti Shas d’Arié Dery et les Ashkénazes, pour Judaïsme unifié de la Torah, raflant à coup sûr une quinzaine de sièges. La Droite unifiée – alliance dont le député Bezalel Smotrich, nommé ministre des Transports par intérim, incarne parfaitement la tendance extrémiste, religieuse, pro-colonisation et anti-arabe – a été rebaptisée « Yamina » (« à droite ! » en hébreu). Ayelet Shaked, ancienne ministre de la Justice, en est la tête de liste, devenant ainsi la première femme à présider une coalition religieuse.

Au centre, Moshe Kahlon, le chef du parti de centre-droit Kulanu, a préféré rejoindre le Likoud contre la promesse d’un ministère et d’une bonne place sur la liste du parti de droite. Enfin, Avigdor Lieberman devrait une nouvelle fois jouer les (dé)faiseurs de roi. Son parti est crédité d’une dizaine de sièges dans les sondages – contre cinq gagnés en avril dernier – et son credo ne dévie pas : il se dit prêt à former un gouvernement avec Bleu et Blanc (les deux partis ont signé un accord), voire une union nationale avec le Likoud, à condition que les partis religieux soient exclus de la prochaine coalition dirigeante.

Si la dissolution de l’assemblée a été un revers pour Netanyahou, le véritable échec n’est pas là. Le 9 avril, la gauche israélienne enregistrait le plus mauvais score de son histoire. Les travaillistes – le parti de Ben Gourion et d’Yitzhak Rabin, autrefois hégémonique – remportaient seulement six sièges, contre quatre pour le Meretz, incapable de se défaire de son image de parti réservé à une élite ashkénaze laïque. Quant aux quatre partis arabes, après avoir fait front commun en 2015 et remporté 13 sièges, leur scission (Hadash et Ta’al d’un côté, Balad et Ra’am de l’autre) s’est révélée moins payante puisque trois députés n’ont pas été réélus. Fraîchement réunis, ils sont crédités de 10 ou 11 sièges.

Sans les 35 sièges du parti centriste Bleu et Blanc, la droite et l’extrême droite auraient été hégémoniques. La formation avait pourtant très peu fait campagne avant le dernier scrutin, se contentant de jouer son rôle d’opposant au Likoud et à Benyamin Netanyahou. Comme Talia Scheindlin, experte en opinion publique, beaucoup aujourd’hui reprochent au parti un manque de propositions : « Pour être une alternative au Likoud, il faut des idées. Ce n’est pas suffisant d’être contre le Likoud. »

La gauche et le centre peuvent-ils s’unir pour concurrencer le parti du Premier ministre et de ses alliés ? Sur le papier, l’idée a tout d’un vœu pieux ; dans la réalité, les obstacles sont légion. « Aujourd’hui, les partis sont divisés. Pour être une force d’opposition crédible, ils doivent créer une narration commune », poursuit l’analyste.

Autre question épineuse : les partis arabes peuvent-ils rejoindre une coalition de centre-gauche ? L’hypothèse interroge la relation de ses membres au sionisme. Pour Ofer Cassif, le seul député juif élu – aux côtés de cinq Palestiniens d’Israël – de la liste Hadash (l’ancien parti communiste, devenu l’un des quatre partis arabes du pays), la réponse est claire : « La seule vraie gauche est antisioniste. Sans ça, il ne peut pas y avoir d’égalité entre les citoyens. » Pourtant, Ayman Odeh, le leader de ce parti, a commencé à laisser entendre qu’il pourrait rejoindre un gouvernement de centre-gauche, sous conditions. Une telle éventualité serait historique.

Hadash a été l’un des premiers partis avec une liste « mixte », mélangeant juifs et arabes sans que ces derniers aient un rôle de faire-valoir. De là à ce que la mixité devienne la norme à gauche, le chemin est encore long, s’il n’est pas interminable. Mais, signe des temps – et de l’évolution du pays –, la question palestinienne a été à peu près absente de la campagne. Avant que la réalité ne la réimpose, peut-être dans une nouvelle configuration alors que l’hypothèse des deux États semble avoir été rendue impraticable par la colonisation.

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