Un fantôme et des trains

Dans The Way She Dies, le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues et le collectif flamand tg STAN revisitent Anna Karénine.

Anaïs Heluin  • 24 septembre 2019 abonné·es
Un fantôme et des trains
© crédit photo : filipe ferreira

Tiago Rodrigues n’est pas de ceux qui entretiennent un doute, une ambiguïté, quant à leur rapport avec les œuvres classiques qui leur sont chères. D’emblée, il affiche la distance qui le sépare du sonnet 30 de Shakespeare dans By Heart (2014), ou de Madame Bovary de Flaubert dans Bovary (2016), tout en disant ce qui l’en rapproche. Ce qui entre en écho avec sa vie à lui, avec sa sensibilité. The Way She Dies ne fait pas exception à cette manière de célébrer les œuvres d’hier.

Dans cette pièce créée en 2017 à Lisbonne, au Teatro nacional D. Maria II, qu’il dirige, le metteur en scène prend Anna Karénine par la fin de la septième de ses huit parties. Par le suicide de l’héroïne éponyme, rongée par le remords d’avoir abandonné son mari et son fils pour vivre avec son amant, l’officier Vronski.

La passion coupable d’Anna et sa mort ne sont que brièvement racontées à travers les mots de Tolstoï. Si la pièce est ponctuée de citations de la traduction française du roman, celui-ci est en effet utilisé par Tiago Rodrigues comme un point de départ. Comme une base solide à partir de laquelle il peut rechercher à sa manière, avec son langage, le « nœud de la vie » qu’espérait trouver le romancier russe. Pour les quatre comédiens, Anna Karénine fait office de langage et d’horizon communs. Chose d’autant plus nécessaire que, si deux d’entre eux – Isabel Abreu et Pedro Gil – sont portugais, les deux autres – Jolente De Keersmaeker et Frank Vercruyssen – sont flamands. Ils sont membres du collectif tg STAN, avec qui Tiago Rodrigues s’est formé et avec qui il a beaucoup travaillé.

Dans sa conception, The Way She Dies ressemble à l’œuvre dont il s’inspire : avant d’être une histoire de mort, c’est une histoire d’amour, de désir. C’est le fruit d’un dialogue entre hommes et femmes de théâtre, qui est aussi le sujet principal de la pièce. Dans les deux histoires de couple en dérive – l’une située en 2017 à Anvers, l’autre en 1967 à Lisbonne – qui alternent au plateau, la tragédie d’Anna Karénine apparaît à travers certains motifs récurrents. L’adultère, bien sûr, mais aussi les scènes de gare. Lesquelles sont, chez Tolstoï, les plus déterminantes dans la vie de sa protagoniste. Dans l’affirmation de sa liberté, en même temps que dans sa descente aux enfers.

Réalisés à vue, avec humour et subtilité, les changements de costumes qui marquent le passage d’une époque à l’autre nous ramènent au présent du théâtre. De même que les nombreuses réflexions sur la traduction qui se glissent dans les conversations des couples, bouleversés par Anna Karénine autant que Tiago Rodrigues et tg STAN. Comme on l’est par de très vivants fantômes.

The Way She Dies, jusqu’au 6 octobre, Théâtre de la Bastille, Paris XIe, 01 43 57 42 14, www.theatre-bastille.com

Théâtre
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