Didier Cros, dans la fleur des nerfs

Né du festival du Forum des images, à Paris, consacré au cinéma et au documentaire, le web magazine propose une série remarquable d’entretiens de Joseph Beauregard avec des cinéastes. Coup de projecteur sur la personnalité de Didier Cros avant la diffusion de son nouveau film, La Disgrâce.

Jean-Claude Renard  • 18 octobre 2019
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Didier Cros, dans la fleur des nerfs
© Photogramme : Joseph Beauregard/Forum des images

D’ici un mois, entre le 15 et le 24 novembre, aura lieu la 11e édition du festival du Forum des images, à Paris, « Un état du monde et du cinéma ». Au programme, un focus consacré au Brésil, une rétrospective de l’œuvre du cinéaste chinois Wang Quan’an (Le Mariage de Tuya, Appart Together, La Tisseuse), des rendez-vous déclinés autour du corps, de l’habitat, du territoire, de la transformation du paysage, des utopies dessinées par l’homme, une table ronde en présence de cinéastes, reporters et photographes qui ont filmé le mouvement des gilets jaunes et des avant-premières…

C’est aussi au sein de ce festival qu’est né le webmagazine éponyme, bâti autour de longs entretiens avec des cinéastes, des entretiens réalisés par Joseph Beauregard, sobres, épurés, parfaitement éclairés, qui soulignent un travail, un regard, un point de vue, un engagement toujours politique. Sont déjà passés à la moulinette des personnalités comme Frédéric Brunquell, Stéphane Mercurio, Michaël Prazan, Alice Diop, Pierre Scholler… Ce mois-ci, avant la diffusion sur France 2, dans la case Infrarouge, de son nouveau doc, La Disgrâce, Didier Cros s’est prêté au jeu des questions devant la caméra de Joseph Beauregard.

En partenariat avec le Forum des Images à Paris, Politis vous propose une série de textes (portrait, entretien...) accompagnée d'un échange filmé avec une personnalité dont le travail questionne le monde, les images et le cinéma. Le tout en écho avec la programmation du web magazine et du festival Un état du monde…

L’occasion de revenir sur plusieurs de ses films. A commencer par le premier, Les Bains douches (2000), dans lequel il s’attache aux exclus que sont les SDF, à travers la lucarne d’un acte quotidien : la toilette. Un acte ordinaire mais qui s’inscrit dans une résistance à la défaite intime et définitive. Avec Ado d’ailleurs, tourné en 2006, autour d’un jeune mineur isolé afghan, c’est un sujet dont on parle peu encore. Et un film signifiant qui parle au nom de tous. Dans Parloirs (2010), il rend compte de la solitude croisée entre l’extérieur et l’intérieur, tandis que Sous surveillance (2010) déploie un autre quotidien, celui des matons, à la besogne terriblement humaine et ingrate. Dans un autre genre, la Gueule de l’emploi (2011) livre la violence du mode de recrutement, avec ses méthodes abjectes. Avec Enfin Français ! (2015), il relate l’accession à la nationalité française, un parcours administratif pénible, entre absurdités et humiliations, avec, au bout du compte, bien souvent, une décision flirtant avec la discrimination.

D’un film à l’autre, et d’un sujet l’autre (le handicap, la pauvreté, la prison), Didier Cros en convient : « On prend plus qu’on ne donne. Notre devoir est de réduire au maximum ce qu’on prend et ce que nous avons à offrir. » A y regarder de près, « si on était conscient dans ce quoi on s’embarque, on ne ferait pas la moitié des films qu’on a fait, tellement c’est complexe, difficile, tellement le réel nous échappe ! » Mais, poursuit-il, « ce serait pire si on ne faisait rien ».

Une constante : l’image de soi et le regard de l’autre. D’où l’attrait pour le huis-clos chez ce réalisateur pudique, nourri de cinéma, notamment des films de Wiseman. Son dernier film, La Disgrâce, qui vaut cet entretien conçu par Joseph Beauregard, (dans lequel se croisent, in fine, deux sensibilités dans la fleur des nerfs), bientôt diffusé (il était temps, alors que le film a été salué dans une dizaine de festivals en France et à l’étranger), repose justement sur un face caméra de gueules cassées. Des trognes devenues des bêtes de foire, dans un monde régi par l’image. L’une sous le jet d’acide sulfurique, l’autre sous les effets d’un accident domestique, d’autres encore victimes d’une maladie génétique ou d’un cancer. Toutes filmées dans l’atelier des studios Harcourt, aux propos sobrement recueillis. Des histoires intimes qui furieusement ressemblent à Didier Cros, sensible, modeste, aux confins de l’intelligence. C’est aussi tout l’intérêt de voir se livrer un documentariste lui-même chouraveur et chipeur de trajectoires, d’itinéraires, de récits personnels. Comme un jeu de miroir.

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Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes
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