Du son contre les matraques

Du 11 au 13 octobre, près de Nantes, quelque 15 000 personnes ont dansé en hommage à Steve Maia Caniço, et à toutes les victimes de violences policières, lors d’un Teknival (fête techno) illégal rebaptisé « Tek’Steve’All ».

Romain Haillard  • 16 octobre 2019 abonné·es
Du son contre les matraques
© Crédit photo : Estelle Ruiz/NurPhoto/AFP ; Romain Haillard / Politis

Steve Maia Caniço aimait la musique, et pas n’importe laquelle. Celle qui tabasse les oreilles, qui s’écoute tard le soir jusqu’au petit matin. Le jour où le corps du jeune homme a été retrouvé, plus d’un mois après sa chute dans la Loire à la suite d’une charge policière lors de la Fête de la musique, le milieu de la teuf (fêtes techno) avait lancé un avertissement. Un flyer circulait sur les réseaux, titré « Tek’Steve’All », un poing levé, avec la date de l’événement et cette phrase : « Pour Zyed, Bouna, Adama, Rémi, Malik et tous les autres, morts ou mutilés par les forces de l’ordre, en France ou ailleurs. Stop à l’oppression policière. »

Cet appel élargi n’a pas fait débat chez les teufeurs, selon Ben (prénom changé), l’un des organisateurs : « Je suis moi-même impliqué dans d’autres milieux militants, il paraissait évident de ne pas faire un événement focalisé sur le seul milieu festif. » Dans la nuit de vendredi à samedi, quelque 15 000 personnes ont déboulé vers une heure du matin dans la prairie de Mauves, à Sainte-Luce-sur-Loire (Loire-Atlantique), à quelques kilomètres de là où avait été retrouvé le corps de Steve. Les policiers avaient pris soin de boucler le quai Wilson, sur l’île de Nantes, persuadés de voir les soundsystem investir les lieux. Loupé.

« La préfecture a essayé de nous contacter, pour organiser la manifestation dans le calme. Nous avons dit que c’était hors de question », lâche dans un rire moqueur l’organisateur, conscient d’un rapport de force désavantageux pour la police cette fois-ci. « La famille de Steve nous soutient. Le préfet de Loire-Atlantique, Claude d’Harcourt, est sur la sellette et nous avons l’opinion publique de notre côté, c’est assez rare », souligne le jeune homme avant de conclure : « C’est l’un des seuls moyens efficaces pour gueuler. L’autorité n’aime pas le désordre, et nous le faisons bien. »

Jeanne, 30 ans

© Politis

« Ce genre d’événement prouve que nous ne sommes pas des demeurés. Les gens en free party peuvent également être des gilets jaunes ou des personnes qui se battent pour la préservation de l’environnement. Ça fait quinze ans que je vais en manifestation, que je me bats contre la casse du social, des services publics. Le jour de la mort de Steve, je me suis sentie attaquée : un des miens a été balancé dans la Loire. Mais il ne faut jamais oublier les autres, Adama Traoré, Zyed et Bouna… Depuis des années, les banlieues criaient aux bavures, le grand public n’a pas voulu l’entendre et maintenant ça explose sous ses yeux. Nous vivons dans un monde qui marche sur la tête, je le vis comme une dérive autoritaire et ça me fait peur. »

Tanguy, 20 ans

© Politis

« C’est mon premier Teknival en tant que membre du public : d’habitude, je mixe avec mon groupe. J’ai tenu à venir pour protester contre toutes formes de répression policière, en particulier dans le milieu de la teuf. Nous subissons des saisies de matériel, nous prenons des amendes, nous nous faisons chasser des terrains où nous nous installons… Steve, c’était trop. Ce qui me choque le plus, c’est la volonté de couvrir les forces de l’ordre, quand l’Inspection générale de la police a supposé que Steve était tombé dans la Loire avant la charge. Ils camouflent les violences, comme pour les gilets jaunes. Si un manifestant perd une main, c’est de sa faute : il n’aurait pas dû ramasser une grenade. Mais jamais les autorités ne se posent la question d’arrêter d’utiliser ce matériel, le même qui a tué Rémi Fraisse à la ZAD du Testet en 2014. »

Coline, 21 ans

© Politis

« Je ne venais plus trop en teuf ces derniers temps. Steve a été un facteur déclenchant. Le ras-le-bol contre les violences policières n’existe pas seulement dans le milieu free party. Ce tekos [Teknival, festival de musique techno alternatif, NDLR] ne rend pas seulement hommage à Steve, mais à toutes les victimes de ces violences. La police devrait être là pour nous protéger, pas nous blesser. Aujourd’hui, nous réunissons 15 000 personnes pour un événement illégal, c’est rare de voir ça en France. Et tout se passe sans incidents. Je ne suis pas anti-flics mais, quand des débordements surviennent, c’est souvent à cause d’eux. »

Julien, 26 ans

© Politis

« Je viens en free party depuis l’âge de 19 ans. Je suis là pour défendre les valeurs de cette culture : le partage, la solidarité, le respect, la bienveillance, l’autogestion, l’autonomie… Nous aimons juste danser, faire la fête librement, nous amuser, rien de plus. Voilà pourquoi il y a eu autant d’incompréhension à propos de la mort de Steve. C’est un truc de malade, je ne comprends toujours pas comment nous avons pu en arriver là. Et, en même temps, je l’ai vu comme une suite logique, dans un climat de tension avec les policiers et une répression grandissante contre tous les milieux alternatifs et libertaires. Si c’est suffisant ? Nous sommes là aujourd’hui, et pas devant notre télévision. »

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