Ken Loach : « Arrêter d’acheter sur Amazon ne sera pas suffisant »

Avec _Sorry We Missed You_, Ken Loach porte son regard sur les travailleurs pauvres ubérisés. Il aborde ici ce problème, mais aussi la question climatique, le Brexit, son travail avec les acteurs et son plaisir à regarder certains matchs de football.

Christophe Kantcheff  • 16 octobre 2019 abonné·es
Ken Loach : « Arrêter d’acheter sur Amazon ne sera pas suffisant »
© photo : À 83 ans, Ken Loach conserve l’acuité de son regard, et cet air humble et malicieux. crédit : Joss Barratt

Ken Loach arrive face à son intervieweur détendu, souriant, avec cet air humble et malicieux de celui qui persiste à en remontrer à ceux qui organisent un monde toujours plus barbare. Né en 1936, le cinéaste britannique a déclaré vouloir ne plus tourner alors qu’il revient en très grande forme avec Sorry We Missed You. Son regard sur ses personnages, en l’occurrence une famille de Newcastle prise dans la tourmente du travail précaire, est inimitable. Rencontre avec un grand monsieur.

Ce film a pour objet l’ubérisation du travail. C’est-à-dire une activité toujours plus individualisée, qui annihile toute solidarité entre les travailleurs. Après Moi, Daniel Blake, Sorry We Missed You n’a rien d’un film d’encouragement des classes populaires, comme vous souhaitiez en faire il fut un temps. Qu’avez-vous voulu susciter ?

Ken Loach : Si j’en juge par les premières réactions du public, ce film suscite de la colère. Je crois que la colère est nécessaire pour commencer à s’opposer à ce qui se passe. C’est la base d’une réponse plus articulée, plus organisée. À vrai dire, les sentiments des spectateurs sont mêlés : il y a de la colère, de la tristesse et une aspiration à réclamer la sécurité du travail et la fin de l’exploitation, une aspiration à retrouver une dignité.

Par ailleurs, aujourd’hui, il existe des revendications économiques et sociales avec lesquelles le film est en lien qui sont défendues par des syndicats ou des partis, comme le Parti travailliste. Ce film n’est pas isolé. Paul Laverty [le fidèle scénariste de Ken Loach, NDLR] et moi-même avons pensé à un moment donné introduire dans l’histoire un syndicaliste ou un personnage en désaccord avec les méthodes de travail imposées par cette société de livraison. Mais finalement, nous nous sommes rendu compte que le propos en aurait été affaibli. Cela aurait ressemblé à une expression directe de moi-même dans le film. C’était plus fort de maintenir le point de vue uniquement sur cette famille. Et, d’une certaine manière, la question restait ainsi ouverte pour le spectateur et le renvoyait à son propre jugement.

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Aux clients de ces plateformes de livraison, qui sont de plus en plus nombreux aujourd’hui, le film peut dévoiler les conditions de travail qui y sont en vigueur. Beaucoup les ignorent et même n’y pensent pas…

Pour moi, il est difficile d’imaginer qu’on ne se pose pas cette question-là. Mais l’interrogation essentielle, à mes yeux, est la suivante : combien de temps peut durer un système où toute marchandise achetée est apportée à chaque individu par une personne au volant d’un van consommant de l’essence ou du diesel ?

Même si ce système de livraison individuelle était effectué par des véhicules électriques, il faudrait produire cette électricité et il en

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