SNCF : un tournant social à haut risque

La SNCF et ses futurs concurrents renégocient les conditions de travail et le groupe public prépare des mouvements de mobilité.

Erwan Manac'h  • 2 octobre 2019 abonné·es
SNCF : un tournant social à haut risque
© crédit photo : Riccardo Milani / Hans Lucas / AFP

Plus 30 % : c’est ce que coûterait le statut de cheminot par rapport aux conditions d’embauche dans le privé, selon la direction de la SNCF, sans qu’aucune étude sérieuse ait jamais été produite sur le sujet. C’est donc le gain de productivité que la SNCF va demander à ses 140 000 agents dans les prochaines années. Pour cela, les suppressions de postes s’amplifient (2 000 en 2019), des services sont fusionnés et les métiers sont redéfinis avec davantage de polyvalence. « Du fait des évolutions technologiques, la moitié des salariés vont changer de poste dans les huit ans qui viennent », affirmait un cadre de la SNCF dans Les Échos, le 19 septembre. Ces bouleversements entraînent une situation sociale à haut risque pour les cheminots, victimes par ailleurs d’un discours sur leurs avantages acquis, largement fantasmés.

Le procès France Télécom, qui a fait comparaître au printemps sept anciens cadres pour harcèlement managérial, a remis dans la lumière les conséquences dramatiques que peut avoir ce type de réorganisation à marche forcée. Il semble avoir eu un impact sur les discours de la direction de la SNCF, qui met aujourd’hui l’accent sur le « programme sans précédent de développement des compétences de près d’1 milliard d’euros ». Mais ni la vitesse ni la profondeur des réorganisations ne sont remises en question. « C’est violent, ce sera violent », prévenait en mars Jean-Pierre Farandou, nouveau patron de la SNCF à partir du 1er janvier 2020, à des journalistes, dont celui du Monde, en évoquant la vie d’une entreprise soumise à la concurrence sur les marchés du ferroviaire. C’est également la crainte des syndicats du groupe, qui alertent sur des taux de démissions sans précédent et des indicateurs sociaux dans le rouge.

C’est dans ce contexte déjà tendu, et pour permettre les grandes réorganisations à venir, que des négociations d’une ampleur inédite se poursuivent. À partir d’une feuille blanche, la SNCF est en train de réécrire les conditions d’embauche et de salaire pour les nouveaux entrants, qui n’auront plus, à compter du 1er janvier, le statut de cheminot. En discussion également, le replâtrage des instances représentatives du personnel et des règles de mobilité au sein du groupe. Une autre négociation avance en parallèle pour établir une convention collective des salariés du rail. Toutes ces discussions doivent notamment permettre de payer davantage les salariés en fonction du « mérite », en vertu des objectifs et des évaluations délivrés par les managers, en réduisant l’avancement automatique. « Nous avons trois mois et demi pour réécrire toute la SNCF, qui avait été créée en quatre-vingts ans, c’est impossible », juge Bruno Poncet, de Sud-Rail.

Dans le détail, la direction se défend de conduire des mobilités forcées et propose des chèques pouvant grimper jusqu’à plus de 50 000 euros aux candidats au départ. Mais si elle bute sur le refus d’un salarié d’être transféré ou reclassé, le dernier recours sera son licenciement.

Les entreprises qui récupéreront une ligne historique à la suite d’un appel d’offres devront embaucher les anciens cheminots en maintenant les mesures propres au statut pendant quinze mois. Le « sac à dos social » agité en guise de contrepartie pendant les débats sur la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, en 2018, a donc rapetissé, même si la garantie de l’emploi demeurera après cette date.

Enfin, la suppression du statut n’entraînera pas nécessairement la baisse des salaires. Au contraire, particulièrement dans les métiers en tension, comme la conduite, la SNCF craint de devoir faire monter les enchères pour ne pas voir s’exiler les employés qu’elle a formés chez la concurrence, ou même au Luxembourg ou en Suisse, où les salaires sont très attractifs. En Île-de-France, où se font les deux tiers des recrutements de la SNCF, le sujet est brûlant. Les candidats sont rares, pour des postes difficiles, avec des salaires d’embauche bas et peu de compensations du travail de nuit ou de week-end, dans une aire urbaine aussi congestionnée que la région parisienne. La SNCF offre désormais une aide au logement à ses recrues et se résout à augmenter les salaires, ce qui fera grimper sa masse salariale. De quoi durcir la négociation avec la région Île-de-France pour le renouvellement de la convention du Transilien. On est loin, en effet, des 30 % d’économies vendues par le gouvernement lors du débat sur la réforme ferroviaire.

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