BCE : Lagarde sera-t-elle colombe ou faucon ?

Saigné sous la troïka, le Portugal a pu déployer un plan de relance auparavant inimaginable.

Liêm Hoang-Ngoc  • 6 novembre 2019
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BCE : Lagarde sera-t-elle colombe ou faucon ?
© Christoph Soeder / DPA / dpa Picture-Alliance / AFP

Christine Lagarde a succédé à Mario Draghi à la présidence de la Banque centrale européenne (BCE). L’action de ce dernier s’est démarquée de celle de son prédécesseur. Alors que la communication de Jean-Claude Trichet se résumait à annoncer le maintien de règles crédibles, pour prévenir toute anticipation inflationniste (conformément aux canons du monétarisme), celle de Draghi a donné le signal qu’un sentier de taux d’intérêt serait respecté afin d’atteindre une cible d’inflation (conformément aux recommandations des nouveaux keynésiens).

Face à la crise des dettes souveraines, l’action de Trichet fut a minima et trop tardive, notamment au sein de la troïka (BCE-Commission européenne-FMI). Draghi a pour sa part accentué le programme de rachat de titres publics Securities Market Program, puis brandi le « bazooka » du programme Outright Monetary Transactions, menaçant de racheter tous les titres souverains nécessaires en cas de spéculation des marchés. Cela a fait baisser la tension sur les taux des nouvelles émissions d’obligations d’État et mis un terme à la crise des dettes souveraines. Le Portugal, saigné au temps de la troïka, a pu déployer un plan de relance auparavant inimaginable.

Le programme Long Term Refinancing Operation, déployé par Draghi, a d’abord transformé la BCE en caisse de défaisance (bad bank), permettant aux banques de se délester de leurs actifs toxiques de 2008, en contrepartie de 1 000 milliards d’euros d’argent frais. Puis, face à la menace déflationniste, la BCE a mis sur pied le programme Targeted-LTRO, octroyant des liquidités à taux préférentiel à condition que les banques les consacrent au financement de l’économie réelle. Au grand dam des « faucons », elle a abaissé puis maintenu nul son principal taux directeur et fixé un taux de dépôt négatif (pour les banques auprès de la BCE) pour stimuler le crédit. Combiné à la poursuite d’un programme de rachat de titres privés et publics, à hauteur de 60 milliards par mois, ce Quantitative Easing avait clairement pour but de contrer la déflation, liée à une insuffisance de demande au sein de la zone euro, où se sont déployées les politiques d’austérité. Estimant avoir mené la politique non conventionnelle nécessaire, Draghi en appelait le 30 septembre dans le Financial Times à la responsabilité des États pour qu’ils activent l’arme budgétaire. Il soulignait la nécessité d’un budget de la zone euro conséquent, afin de stabiliser la conjoncture et d’organiser la convergence des économies victimes de « chocs asymétriques ». Faute de quoi, les politiques de « dévaluation interne », privilégiées pour ajuster les déséquilibres macroéconomiques, entretiendraient la menace déflationniste et le chômage de masse.

La démission de Sabine Lautenschläger, membre du directoire de la BCE, ainsi que les prises de distance des présidents des banques centrales allemande et néerlandaise, Jens Weidmann et Klaas Knot, en désaccord avec la « colombe Draghila », sont autant de signaux adressés à la nouvelle présidente de la BCE, l’invitant à abandonner les mesures de nature à « euthanasier la rente ».

Liêm Hoang-Ngoc Maître de conférences à l’université de Paris-I

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