Les langues racontent l’humanité

Jean Sellier signe une monumentale histoire linguistique mondiale, aussi érudite que passionnante. Et surtout abordable.

Olivier Doubre  • 27 novembre 2019 abonné·es
Les langues racontent l’humanité
© Représentation d’un scribe et du dieu Thot réalisée durant l’Antiquité égyptienne.STAN HONDA/AFP

Les volumes qui s’apparentent à une encyclopédie peuvent parfois présenter un côté écrasant, du fait de leur forme, de leur sujet et, d’abord, de leur poids. Cette imposante Histoire des langues et des peuples qui les parlent pouvait a priori s’inscrire dans cette catégorie, risquant de rebuter le lecteur. Pourtant, celui qui ouvrira ces quelque 700 pages n’y verra certainement pas un ouvrage rébarbatif, encore moins étouffant. L’auteur propose une approche chronologique, des langues « avant l’écriture » jusqu’aux plus récentes évolutions des groupes d’idiomes, des langues et des dialectes à travers la planète. Mais le lecteur, même ignorant tout du sujet, n’est pas contraint de s’atteler à cette somme depuis la première page jusqu’à la dernière : il peut choisir à sa guise parmi les périodes et les zones géographiques. Entre cartes et schémas, du fait des inévitables échanges entre les populations, c’est un voyage linguistique et historique qui est ici proposé.

Historien et géographe, Jean Sellier mêlait déjà ses deux disciplines dans la brillante série des « Atlas des peuples » qu’il a conçue et continue de développer, chez le même éditeur (La Découverte). Avec ce volume, fruit d’une décennie de travail, il multiplie les entrées, les focus et les efforts de vulgarisation. Mais il délimite précisément son sujet, excluant d’emblée la question de « l’origine » des langues (ou a fortiori du langage) et la linguistique en tant que telle pour se situer d’abord en historien. « Les linguistes remontent le temps », se plaît-il à souligner pour expliquer sa démarche, en considérant non l’histoire « interne » des différents idiomes, avec leurs évolutions grammaticales, lexicales, syntaxiques ou orthographiques, mais bien l’histoire « externe », qui considère la langue « comme un fait social concourant à l’histoire générale des peuples qui la parlent ».

C’est sans doute ce qui rend d’autant plus passionnant cet essai si riche que d’esquisser aussi une histoire des locuteurs des six mille langues encore parlées aujourd’hui.

Bien sûr, on pourra revoir les efforts d’unification linguistique (tous empreints d’une volonté politique) du français, du castillan en Espagne ou de l’italien face aux dialectes et aux patois. Ou suivre les « classiques » que sont les histoires de l’hébreu, du grec, du russe ou du sanskrit. Mais on découvrira aussi l’histoire des centaines de langues papoues, du javanais, du breton, du frioulan, du yiddish, du swahili, des pidgins mélanésiens ou des 960 langues amérindiennes parlées « à l’époque du contact » avec les Européens – et l’évolution de leurs modes de classification depuis la fin du XIXe siècle, début de leur étude (après les massacres)… Un ouvrage déjà de référence.

Une histoire des langues et des peuples qui les parlent Jean Sellier, La Découverte, 712 pages, 32 euros.

Idées
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