ONF : l’absence de stratégie forestière publique est irresponsable

Face aux sécheresses qui vont devenir de plus en plus récurrentes, l’État doit définir un véritable plan pour des forêts durables et renforcer l’Office national des forêts au lieu de l’affaiblir.

Eva Sas  et  Gilles Bilot  • 7 novembre 2019
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ONF : l’absence de stratégie forestière publique est irresponsable
© Maud Dupuy / Hans Lucas / AFP

Les sécheresses exceptionnelles de 2018 et 2019, couplées à des vagues de températures anormalement élevées, ont eu de fortes conséquences sur les forêts, engendrant une mortalité sans précédent d’arbres adultes, en particulier pour les épicéas, mais aussi les hêtres et les sapins.

Face à de telles crises qui vont survenir de plus en plus régulièrement, il est capital que l’État définisse une véritable stratégie forestière pour une forêt durable en 2050. 2050 ? La date cruciale, retenue par les chercheurs pour caractériser l’évolution du climat de notre pays, ce moment pivot où Paris connaîtra le même type de climat que Canberra aujourd’hui. Concrètement : les peuplements forestiers méditerranéens remontant vers le nord, remplacés par du maquis ou de la garrigue, des dépérissements sans précédent et une vulnérabilité accrue à des attaques pathogènes inédites.

A partir de ces projections, la question est : comment la forêt française pourra-t-elle s’adapter et que faire pour préparer cette adaptation ? Doit-on attendre que la forêt française brule comme l’Amazonie pour qu’on s’y intéresse ?

C’est à l’État stratège de définir une politique forestière ambitieuse pour que tous nos espaces forestiers s’adaptent aux évolutions du climat et que tous les services rendus par la forêt puissent être maintenus et renforcés. Cela suppose de s’appuyer sur un service public fort, capable de mettre en œuvre ces nouvelles politiques à partir de ses ressources d’ingénierie, sa connaissance du terrain et les compétences de ses personnels. Ce service public existe, c’est l’Office national des forêts (ONF). Mais au lieu de consolider cet outil, l’État l’affaiblit.

Construit sur un modèle économique bancal, censé se financer de plus en plus par les ventes de bois, l’ONF n’a plus les moyens de répondre aux besoins d’une société qui attend beaucoup de la forêt en matière d’environnement et de protection de la nature. Malgré les coupes sombres dans les effectifs des vingt dernières années, son endettement est tel qu’il ne peut, sans évolution de ses financements, se redresser. Et ses personnels vont mal.

Que propose le gouvernement ? Démembrer, filialiser (alors que la gestion forestière ne peut se faire que globalement) et recentrer ce qui resterait sur les fonctions régaliennes. Aucun apport financier n’est envisagé. La forêt publique française mérite mieux qu’un projet qui va encore affaiblir l’ONF tout en le privant de sa dimension multifonctionnelle.

Réformer l’ONF ? Très bien. Mais pour confirmer son rôle dans la sauvegarde et la protection des forêts publiques, et préparer les forêts au changement climatique et aux multiples défis qui l’accompagnent. Nous avons besoin, face à de tels enjeux, de plus de service : il s’agit de mettre en œuvre une politique forestière dynamique et visionnaire en consacrant des moyens à la hauteur des enjeux. Aujourd’hui ? 16 millions d’euros en France contre 800 en Allemagne, pour faire face à la crise des scolytes. Et pour les aider face aux défis qu’ils devront relever, les personnels de l’ONF ont besoin du soutien et de la protection de la nation.

La balle est dans le camp du gouvernement. À défaut de vouloir sauver le service public forestier, il portera la responsabilité de conséquences majeures en termes de biodiversité et de protection des personnes et des biens vis-à-vis des risques naturels. L’ambition écologique se mesure aux actes.

Eva Sas, ancienne députée, Responsable de la Commission Economie, Social, Services Publics d’EELV

Gilles Bilot, forestier, secrétaire régional d’EELV Lorraine

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