Jeune public, grands spectacles

La scène destinée à tous les âges se déploie en cette fin d’année dans de belles directions très diverses. Les nombreuses créations témoignent de la richesse du champ et de son exigence.

Anaïs Heluin  • 4 décembre 2019 abonné·es
Jeune public, grands spectacles
© « Stellaire », de Stereoptik, un savant bricolage fondé sur la rencontre entre musique et dessin.STEREOPTYK

C’est un hasard si c’est à l’approche des fêtes que le théâtre dit « tout public » ou « jeune public » trouve place dans nos pages. Toute la saison, des pièces pour la jeunesse – on ne parle plus de « théâtre pour enfants » que dans des cas spécifiques, souvent pour des formes proches de l’animation – s’invitent sur toutes les scènes. Car, depuis une quinzaine d’années, la venue des familles est l’une des grandes préoccupations des théâtres, depuis ceux de quartier jusqu’aux centres dramatiques nationaux en passant par le réseau des scènes nationales et conventionnées. C’est aussi celle de bien des artistes, parmi lesquels Frédéric Sonntag, les Stereoptik et Antonin Tri Hoang, qui ont récemment créé de belles pièces programmées par des lieux majeurs de notre paysage théâtral. Pour le bonheur des petits autant que des plus grands spectateurs.

Des artistes cités plus tôt, seule la compagnie Stereoptik a fait du spectacle pour tous (« à partir de 9 ans », lit-on sur le site du Théâtre de la Ville à propos de son nouveau spectacle, Stellaire, créé fin octobre) sa spécialité. Depuis la fondation de leur duo en 2008, le plasticien Romain Bermond et le musicien Jean-Baptiste Maillet ne fabriquent que des performances musicales et visuelles «à caractère intergénérationnel et inter-culturel». Peaufinant de pièce en pièce un dispositif qui permet de créer des films musicaux en direct, ils développent un langage complexe mais accessible à tous. Un savant bricolage fondé sur la rencontre entre musique et dessin, au service de fictions qui se passent de mots. Ou n’en donnent que quelques-uns, comme dans Stellaire,où l’histoire d’amour entre une astrophysicienne et un dessinateur interroge la création de l’univers.

Le théâtre tout public ose la métaphore. Il se permet l’analogie et le fragment. Il s’aventure dans des formes singulières dont l’inventivité n’a rien à envier à celle des artistes créant pour des adultes. Lesquels, d’eux-mêmes ou sollicités par certaines institutions, sont de plus en plus nombreux à s’essayer à la création pour la jeunesse et les familles. C’est le cas de l’auteur et metteur en scène Frédéric Sonntag et d’Antonin Tri Hoang, qui avec L’Enfant Océan et Chewing gum Silence viennent de faire leur entrée dans ce secteur de création en bonne voie de légitimation. Auquel le ministère de la Culture et de la Communication a manifesté un important soutien à travers La Belle Saison avec l’enfance et la jeunesse, qui s’est étendue de l’été 2014 à fin 2015, avec des démarches exigeantes, toutes esthétiques confondues. Depuis le conte inspiré de récits traditionnels jusqu’aux pièces les plus nourries de nouvelles technologies.

Comme tous les spectacles dus à Frédéric Sonntag depuis 2001, avec sa compagnie AsaNIsiMAsa, L’Enfant Océan se situe entre ces deux tendances. Adaptation du roman éponyme de Jean-Claude Mourlevat, qui lui-même revisite Le Petit Poucet de Charles Perrault, cette pièce, créée en novembre au Théâtre-Sénart, débute par une disparition. Celle de Yann, représenté par une marionnette, et de ses six frères aînés, incarnés par trois comédiens. S’ensuit un road-movie doublé d’une enquête policière sur fond de misère sociale, porté par un subtil mélange de jeu et de vidéos qui donnent à l’ensemble une tonalité documentaire. On retrouve l’aspect composite de Benjamin Walter et B. Traven, les deux spectacles précédents de Frédéric Sonntag. Des épopées labyrinthiques où la fiction se fond dans le réel pour mieux questionner le présent.

La distance entre pièce tout public et création pour adultes est donc subtile. En l’absence de définition précise, elle dépend de chaque artiste. De sa vision de l’enfance et de son rapport à l’art, qui tient aussi beaucoup à l’époque. Laquelle semble évoluer vers la reconnaissance des plus jeunes comme des spectateurs à part entière.

À peine moins foisonnante que dans les spectacles précédents de Frédéric Sonntag, la polyphonie de L’Enfant Océan témoigne de cette tendance. De même que la poésie ouverte à l’interprétation de Stellaire et l’absurde de Chewing gum Silence. Une pièce où Antonin Tri Hoang, compositeur multi–instrumentiste, questionne la place de la mélodie dans notre quotidien, en évoquant, entre autres, le sujet fort grave des «vers d’oreille». «Ces mélodies qui nous obsèdent et dont on n’arrive pas à se défaire» autrement qu’en mâchant un chewing-gum, explique l’artiste sur la feuille de salle du Nouveau Théâtre de Montreuil, où s’est jouée sa pièce.

Mis en scène par Samuel Achache, dont la compagnie La Vie brève a pris cette année la direction du Théâtre de l’Aquarium, Chewing gum Silence est une fable fantastique aux accents absurdes. Ses trois interprètes s’y livrent à un jeu musical et théâtral dont l’héroïne a perdu la petite musique lui servant à dormir, à rêver. Et qui se retrouve dans le lieu de stockage et de fabrication de toutes les mélodies du monde. Une drôle d’histoire qui permet à Antonin Tri Hoang de «s’adresser à tous sans avoir besoin de vulgarisation ou de -simplification».

Stellaire, du 12 au 20 décembre au Théâtre Olympia, CDN de Tours (37), www.stereoptik.com

L’Enfant Océan, du 13 décembre au 5 janvier au Théâtre Paris-Villette, Paris-XIXe, www.bureau-formart.org

Chewing-gum Silence, le 7 décembre à La Dynamo de Banlieues bleues, Pantin (93), www.banlieuesbleues.org ; les 20-21 décembre et 10-11janvier au Théâtre de l’Aquarium, Paris XXe.

Théâtre
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