L’œuvre et l’homme

À propos du dernier film de Polanski, les élèves seront invités à débattre sur le thème : « Déni de justice et sentiment d’injustice ».

Sébastien Fontenelle  • 4 décembre 2019 abonné·es
L’œuvre et l’homme
© Artur Widak / NurPhoto / AFP

L****e dernier film de Roman Polanski, J’accuse, a été présélectionné, en même temps que cinq autres longs métrages, par le comité de pilotage du prix Jean-Renoir des lycéens, organisé chaque année par le ministère de l’Éducation nationale_, « en partenariat »_ avec le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et la Fédération nationale des cinémas français.

Comme son nom l’indique, ce prix est remis chaque année par un jury de lycéen·ne·s, chez qui les organisateurs de cette « opération » (1) ambitionnent – admirable dessein – d’« encourager » non seulement « la formulation d’un jugement raisonné sur les œuvres », mais aussi « l’échange et la confrontation avec d’autres jugements ».

À cette fin, ces élèves et leurs enseignant·e·s sont doté·e·s de kits dans lesquels figurent de nombreux documents : le ministère leur a notamment fourni, pour les aider à mieux affiner leur avis sur J’accuse, un dossier pédagogique réalisé (2) par le distributeur du film et un « dossier de presse » confectionné par un « professeur agrégé d’histoire ».

Et d’abord on regrette que Polanski, dans cette documentation destinée à aiguiser le sens critique, soit présenté (3) seulement comme un génial « réalisateur d’envergure internationale », qui, avec ce nouveau film, « prolonge non seulement un travail de mémoire, […] mais […] invite également à l’examen de conscience » – sans que rien ne soit dit, nulle part, des accusations répétées de viols et d’agressions sexuelles qui ont été portées contre lui.

Puis on découvre que l’auteur du « dossier de presse » suggère, pour les classes de première et de terminale, une méditation collective inscrite dans leurs cours d’histoire et d’éducation morale et civique – autrement dit un débat – sur le thème : « Déni de justice et sentiment d’injustice ». Et qu’il propose même, plus précisément, que « plusieurs groupes d’élèves recherchent dans l’actualité récente des situations dans lesquelles des individus se mobilisent pour réclamer justice ».

De sorte que le soupçon naît : se pourrait-il que ce malicieux agrégé ait tout de même voulu, contre l’élan révérencieux de son ministère, ouvrir, pour les lycéens qui devront former un « jugement raisonné » sur le film, la possibilité d’avoir aussi un « échange » sur le cas de ce cinéaste qui fuit depuis de longues décennies la justice américaine, et contre qui, « dans l’actualité » la plus « récente », et dans le même temps qu’il ployait sous les louanges artistiques de l’Éducation nationale, une nouvelle accusation de viol vient encore d’être portée par une photographe ?

(1) Dont le chef suprême est, rappelons-le, l’excellent M. Blanquer – plus complaisant donc avec M. Polanski qu’il ne l’est envers les mères musulmanes portant un voile, lequel n’est selon lui « pas souhaitable dans notre société ».

(2) Pour les éveiller peut-être, fût-ce de manière subliminale, aux suavités, aussi, des partenariats public-privé ?

(3) Ou devrait-on dire : ovationné ?

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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