Ukraine : Zelensky à l’épreuve de Poutine

À l’approche d’une rencontre à Paris, le 9 décembre, le jeune et inexpérimenté président ukrainien se heurte à l’inflexibilité russe.

Patrick Piro  • 4 décembre 2019 abonné·es
Ukraine : Zelensky à l’épreuve de Poutine
© STR/NurPhoto/AFP

Moins de huit mois après son élection, c’est déjà un instant clé pour Volodymyr Zelensky. Le jeune Président, comédien de profession, est élu en avril par un raz-de-marée (73 % des voix au second tour), balayant une concurrence chevronnée. Dégagisme à l’ukrainienne confirmé par une majorité absolue à l’Assemblée nationale en juillet. La principale promesse de Zelensky : mettre fin au conflit du Donbass. « Elle a séduit une population fatiguée qui veut des solutions », constate Viktor Sokolov, de l’Institut Gorshenin de Kiev. Et de fait, la volonté des parties de s’en approcher s’est exprimée à plusieurs reprises depuis l’été dernier. L’Ukraine a reculé ses troupes dans certaines zones de la ligne de front, ce qu’attendait le président russe, Vladimir Poutine. Un échange de prisonniers a eu lieu en septembre, comprenant notamment le cinéaste Oleg Sentsov (lire page précédente). La Russie a rendu à l’Ukraine trois navires capturés l’an dernier près de la Crimée, annexée en 2014. Des conditions qui ont incité Emmanuel Macron, favorable à un rapprochement avec Moscou, à inviter à Paris le 9 décembre les deux présidents ainsi que la chancelière allemande, Angela Merkel, pour un sommet à quatre. Sur la table, la dite « formule Steinmeier » : les territoires tenus par les séparatistes se verraient accorder un statut spécial au sein de l’Ukraine, qui recouvrerait en échange le contrôle de sa frontière orientale (avec la Russie), avant la tenue rapide d’élections libres dans les territoires. Simple en apparence, ce mécanisme provoque une levée de boucliers au sein d’une partie de la société civile ukrainienne, qui redoute un jeu de dupes.

Car aucun détail de ce scénario n’est écrit ni précisément séquencé, au point que chacun s’arrange pour voir midi à sa porte. « La principale donnée, c’est que Poutine n’a pas changé son approche d’un pouce depuis cinq ans, pose Viktor Sokolov. Il vise l’octroi aux territoires séparatistes de prérogatives qui leur permettraient de bloquer des décisions stratégiques, telle que l’adhésion du pays à l’Otan. Une stratégie à l’œuvre chez d’autres voisins de la Russie tentés par un rapprochement avec l’Ouest. » Par ailleurs, Poutine n’a jusque-là cédé sur rien, négociant sur des points déjà actés, souligne Dmytro Ostroushko, de l’Institut Gorshenin. « L’échange d’otages ? La Cour internationale avait déjà statué sur leur libération. Et dans le même temps, la Russie fait de nouveaux prisonniers… » Le cinéaste et militant Oleg Sentsov rappelle qu’en 1997 l’Ukraine avait remis à la Russie la plus grande partie de la flotte de la mer Noire contre la garantie que ses frontières seraient préservées. « Nous avons la conviction que le plan ultime de Poutine est l’effacement de l’Ukraine, et qu’à ce titre il ne lâchera jamais le Donbass », redoute Tetyana Ogarkova, de l’Ukraine Crisis Media Center.

Face aux intérêts européens et russes, la capacité du très atypique Zelensky à défendre ceux du pays est donc interrogée avec insistance. Inexpérimenté, comme son équipe et ses parlementaires, d’obédience libérale mais prêt à promettre aux professeurs un salaire mensuel de… 4 000 euros, soit une multiplication par quinze, ou à nommer ses collaborateurs en fonction de l’avis majoritaire des réseaux sociaux, dont il est un grand utilisateur, il fuit le débat, et sa vision politique reste floue. Anti-corruption et anti-élites, il est pourtant soupçonné d’être manipulé par le sulfureux oligarque Ihor Kolomoïsky. « Il agit en otage de l’opinion populaire, analyse Yevhenii Monastyrskyi, chercheur en sciences sociales. Et il applique ce populisme d’un nouveau genre à la très délicate crise du Donbass, qu’il prétend résoudre très vite et seul. Mais a-t-il pris la mesure de la question ? »

Ainsi, comment imaginer des élections rapides et à la régulière dans les territoires occupés où le droit a été désintégré ? Konstantin Reutski, de l’ONG Vostok-SOS, estime qu’un désengagement militaire ukrainien sur la ligne de front exposerait dangereusement un surcroît de 150 000 personnes à la violence des séparatistes. Et la colère des nationalistes monte, par milliers dans la rue en octobre, accusant Zelensky d’avoir déjà capitulé face à Poutine. « Je suis préoccupé par leur niveau de détermination, qui laisse redouter un recrudescence de la violence civile… », confie Dmytro Ostroushko.

Monde
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