Zéro chômeur, c’est du travail !

Deux ans après leur mise en place, les « territoires zéro chômeur » suscitent des critiques.

Thomas Coutrot  • 4 décembre 2019
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Zéro chômeur, c’est du travail !
© Riccardo Milani / Hans Lucas / AFP

Depuis deux ans, dix territoires ont initié des « entreprises à but d’emploi » (EBE) dans le cadre du projet « Territoire zéro chômeur de longue durée » porté par ATD-Quart Monde, et dont le Parlement a voté l’expérimentation en 2016. Partant du double principe que personne n’est inemployable et qu’il existe de nombreux besoins non satisfaits, une EBE vise à embaucher tous les chômeurs de longue durée qui le souhaitent sur son territoire. Elle crée des activités d’utilité sociale et écologique avérée : recyclerie, épicerie solidaire, entretien d’espaces verts, services à la personne ou aux artisans locaux… Fortement subventionnée au départ grâce au recyclage des prestations (chômage, RSA…), elle vise à accroître l’autofinancement par ses activités propres.

Le comité scientifique chargé d’évaluer cette expérimentation vient de publier un rapport assez critique (1), d’ailleurs précédé d’une tribune de presse incendiaire de l’un de ses membres, l’enragé néolibéral Pierre Cahuc. Les économistes officiels trouvent que les emplois créés coûtent trop cher, mais leurs calculs sont contestés, à juste titre, dans un rapport complémentaire publié par les associations qui portent le projet.

Cependant, cette controverse occulte une autre difficulté qui remonte non pas des calculs d’experts, mais des quatre études de terrain réalisées pour l’évaluation. Leurs auteurs notent qu’après l’enthousiasme initial, dû à la grande satisfaction de retrouver un emploi stable et de faire quelque chose d’utile, beaucoup de personnes sont déçues par leur travail : insuffisance de locaux et d’outils adaptés, activité trop irrégulière avec des périodes d’ennui, mésententes entre salariés inégalement engagés dans le projet, manque de reconnaissance des compétences pour celles et ceux qui détenaient des savoirs de métier, absence de formation professionnelle pour d’autres…

Pour Anne Fretel et Florence Jany-Catrice, qui ont étudié l’expérience lilloise, ces difficultés reflètent les « impensés de la philosophie du projet, qui puise dans le registre de la politique de l’emploi en laissant de côté la notion d’entreprise et de travail ». En effet, « créer de l’emploi ne dit rien de la façon dont le travail s’organise en pratique et dont il peut être porteur de sens, d’acquisition de qualités ».

Une grande partie des problèmes pourra être réglée en prévoyant des dotations en capital plus importantes au départ et en organisant un accompagnement et des formations professionnelles, comme le recommande le rapport d’évaluation. Mais comment créer un collectif de travail entre des salariés que ne rapprochent ni une professionnalité commune, ni un projet productif ou politique partagé, ni une autorité fédératrice ? Sans doute par un savant dosage entre ces trois mécanismes, à inventer au cas par cas selon les ressources locales. Cette passionnante expérimentation apportera sans doute des réponses surprenantes, à condition que les technocrates lui laissent sa chance.

(1) Tous les documents ici évoqués sont disponibles sur le site de la Dares, https://dares.travail-emploi.gouv.fr, à la page « Expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Thomas Coutrot Économiste, membre d’Attac

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