À Grenoble : « On soutiendra quand même Éric »

À Grenoble, la municipalité Piolle a parfois déçu les attentes citoyennes. Mais la plupart des activistes, même chez les plus sévères, saluent ses avancées et envisagent de reconduire le maire à son poste.

Patrick Piro  • 12 février 2020 abonné·es
À Grenoble : « On soutiendra quand même Éric »
La BatukaVI, groupe de percussions de jeunes de la Villeneuve, a acquis une notoriété internationale.© Willy Lavastre

Mars 2014, Grenoble devient le cœur palpitant de la scène politique française. Avec l’élection d’Éric Piolle, la voici seule ville française de plus de 100 000 habitants dirigée par un maire écologiste. Et grâce à un Meccano qui jure avec la cuisine habituelle des partis : la liste victorieuse, et largement, est née d’une alliance suscitée par des mouvements citoyens locaux comme l’Association pour la démocratie, l’écologie et la solidarité (Ades), auxquels se sont articulés EELV et une grande partie du Front de gauche. Les tracts promettaient une ville écologique, solidaire, juste, citoyenne. Grenoble est dans la foulée promue laboratoire d’une « transition » municipale de grande échelle.

Six ans plus tard, le bilan présente incontestablement de belles pièces, alors qu’Éric Piolle postule à un second (et dernier) mandat. Sans surprise, le panier écologique est bien garni. Grenoble arrive au deuxième rang (derrière Paris) des douze plus grandes villes françaises pour ses efforts (1). En pointe, la réduction de la place de la voiture, l’instauration de zones à faibles émissions, le 30 km/h majoritaire dans les rues, et surtout le développement du vélo (2). Également distingués, le verdissement des espaces publics, les économies d’énergie et le recours à l’électricité renouvelable, le retrait massif de la publicité extérieure, une moitié des repas bio, voire locaux et végétariens, dans les cantines.

La plaquette officielle met cependant en avant son « bouclier social ». En dépit d’un fort endettement hérité des mandatures précédentes, les impôts locaux n’ont pas augmenté, et des gratuités ou des tarifs solidaires pour les services ont été instaurés au profit des plus précaires. L’accès aux droits a été amélioré, tel l’accueil des personnes réfugiées ou l’hébergement des familles à la rue.

En 2014, Éric Piolle et son programme de transition avaient rallié nombre d’acteurs et d’actrices de terrain. Même les plus exigeant·es conviennent que la ville a changé significativement pendant la mandature et se disposent à soutenir « Éric » de nouveau. Au Barathym, restaurant associatif de la Villeneuve : « Merci pour ce que vous faites », félicite un jeune homme. David Gabriel Bodinier anime l’atelier populaire d’urbanisme, créé au sein de ce quartier emblématique de la périphérie de Grenoble pour proposer des alternatives aux projets de rénovation urbaine. Observateur vigilant de la politique municipale, il se dit « impressionné » par les avancées écologiques. « La culture vélo s’est enracinée. Les commerçants du centre-ville redoutaient de souffrir du recul de la voiture : il n’en est rien, le gain de qualité urbaine attire la clientèle et les investisseurs. Et, fait rare, Grenoble a activement promu une politique “santé” traversant toute l’action publique – pollution de l’air, des bâtiments, produits toxiques, etc. » Mais c’est l’effort en faveur des écoles qu’il relève d’abord. « Entre rénovation et construction, elles ont bénéficié de la moitié des investissements de la mandature ! C’est une réussite incontestable, une vraie politique de gauche, car l’école est le premier des leviers de la transformation sociale. » Cofondateur en 2010 d’Alliance citoyenne, structure d’éducation populaire qui a formé plus de 300 jeunes à l’auto-organisation, il souligne le rôle des comités de locataires qu’ils ont fait émerger dans la ville. « À la Villeneuve, ils ont été au cœur de la mobilisation pour les écoles. »

Hantise du clientélisme

La syndicaliste Monique Vuaillat, engagée entre autres sur les questions de migrations, est bien placée pour affirmer qu’« on vit mieux aujourd’hui à Grenoble, sur bien des plans ». Ex-maire adjointe du socialiste Michel Destot en 2008 puis candidate sur la liste de son poulain Jérôme Safar, défait en 2014, elle salue « la bataille pour l’hospitalité » menée par l’équipe municipale, l’accès facilité aux services municipaux pour les personnes migrantes, qui disposent de locaux d’accueil… « L’exercice du pouvoir est non seulement marqué par une vision et une cohérence – écologie, éducation, santé, mobilité, etc. –, mais aussi par le courage politique. C’était loin d’être le cas avec Michel Destot. »

Et en face, il y a qui ?

Éric Piolle (EELV) a de bonnes chances d’être réélu maire de Grenoble. L’arc de ses alliances de 2014 s’est encore élargi. « Nous y retournons avec enthousiasme », commente Claire Kirkyacharian, première vice-présidente de la métropole et membre du réseau citoyen Ades. S’y joignent La France insoumise, Génération·s, Nouvelle Donne, Ensemble !, Génération écologie, Place publique, des membres du PS, le Parti animaliste, l’Alliance écologiste indépendante et le PCF. La liste, aux noms renouvelés pour moitié, séduisait 32 % des sondés en septembre dernier (1) devant une opposition divisée. Selon cette étude, Émilie Chalas (LREM) (18 %) serait concurrencée par le macroniste PS Olivier Noblecourt, « monsieur pauvreté » du gouvernement en congé de sa mission (11 %). À l’extrême droite, Mireille d’Ornano et Damien Barthélémy ne totalisent que 6 %. Reste l’épouvantail de retour : Alain Carignon (LR), ex-maire, condamné à cinq ans de prison en 1996 pour corruption. Quand même crédité de 20 %…..

(1) Sondage Odoxa, unique référence publique à ce jour.

La politique « autrement », l’innovation citoyenne, « c’était au cœur des attentes », souligne Michel Gilbert, militant écologiste de longue date, satisfait notamment du budget participatif, « même si le mécanisme tend à se bureaucratiser ». Accessible à toute personne de plus de 16 ans vivant à Grenoble, y compris migrante ou sans papiers, il a un budget en augmentation régulière Plus de 800 000 euros de projets citoyens ont été financés en 2019.

Mais d’autres initiatives ont connu moins de succès. « Le mandat a touché une limite sur le terrain de la démocratie locale, reconnaît Vincent Comparat, de l’Ades. Il faut dire que nous avions d’énormes exigences. » En 2016, la municipalité instaure un « référendum d’initiative citoyenne » (RIC), pionnier en France : une proposition recueillant 2 000 signatures grenobloises peut déclencher un référendum local, qui s’imposera à l’exécutif au-delà de 20 000 votes « pour ». Essuyage de plâtres, ce RIC n’a été activé que trois fois, et pour contrer des décisions municipales. Il sera finalement invalidé sur son principe par la préfecture.

L’exécutif vote la création de conseils citoyens indépendants (CCI) pour remplacer d’anciens conseils consultatifs de secteur, « coprésidés par un élu qui finissait par le contrôler », relate Vincent Comparat. « L’équipe Piolle a clairement rompu avec un clientélisme qui perdurait depuis l’époque Carignon, se félicite David Gabriel Bodinier. Pourtant ces CCI, bien que dotés d’un budget, n’ont guère fonctionné, faute de participation. La municipalité n’est pas parvenue à installer de façon permanente les conditions d’une transition démocratique à Grenoble. » Cristèle Bernard a fait deux ans de mandat dans un de ces conseils, choisie par tirage au sort sur une liste de volontaires. « C’est méritoire d’avoir proposé ce dispositif, mais ceux qui s’investissent sont toujours un peu les mêmes – hommes, cadres, blancs, etc. »

Local de BatukaVI, à la Villeneuve. Sur les étagères s’alignent des tambours brésiliens et africains, ainsi que tout l’équipement nécessaire pour faire voyager des dizaines de personnes. La troupe de percussions, composée de jeunes du quartier, a acquis une notoriété internationale. Son fondateur, Willy Lavastre, enfant de la Villeneuve devenu un acteur respecté de l’action sociale locale, apprécie lui aussi « l’avant-gardisme écologique » de la mandature, « même s’il faut plus de six ans pour imprimer un virage à la mesure des ambitions affichées ». Il constate surtout une difficulté à intégrer la réalité des quartiers populaires. « La hantise du clientélisme, louable, a aussi eu des effets négatifs », juge Willy Lavastre. Ainsi, des comptes demandés à des associations au travail social reconnu, mais en situation administrative -irrégulière, ont conduit à des coupes de subventions pour satisfaire l’austérité budgétaire imposée par la dette.

De même, la pratique en apparence vertueuse de ne confier la charge de quartiers qu’à des membres du conseil municipal n’y résidant pas. L’expérience de René de Ceglié, originaire des quartiers populaires, est positive. Foch-Libération, quartier de droite où il intervenait, le salue aujourd’hui pour son action après l’avoir sifflé au début du mandat. « Mobilité, problème d’urbanisme, de poubelles, etc., les chantiers participatifs que nous avons mis en place ont été reconnus pour leur sincérité. Nous avons recréé du lien. » Cependant, à la Villeneuve, ces dispositions ont généré un éloignement de la municipalité et des services, estime Willy Lavastre. « Le maire aime considérer Grenoble comme “165 000 voisines et voisins” à égalité de considération. Mais peut-on faire abstraction des spécificités d’un quartier dont la moitié de la population a des revenus inférieurs au Smic et vit en logement social ? Il a besoin de relais performants au sein de la ville. »

Défiances

C’est dans ce quartier que l’exécutif s’est heurté aux plus fortes défiances sur le terrain de la démocratie participative. Depuis des années, une partie de la population locale, solidement organisée, rejette les projets de transformation insufflés par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), détentrice des budgets et priorisant la démolition de bâtiments. « Le maire annonce qu’il n’a pas les moyens de s’y opposer. Quel contenu dès lors à la “coconstruction” avec les gens, très attachés ici à leur quartier ? » déplore David Gabriel Bodinier. Cité de l’Arlequin, visée par des démolitions, un collectif d’associations décide de prendre le maire à son jeu en organisant -un référendum d’initiative citoyenne. Résultat, en octobre dernier : 70 % de « non » sur 2 000 personnes concernées, et une participation de 25 % très satisfaisante pour une telle consultation. Pourtant sans effet sur le plan. « Nous ne cherchons pas à affaiblir la municipalité, mais à proposer des alternatives démocratiques, même si elles bousculent », défend David Gabriel Bodinier. Depuis quelques mois, le cabinet du maire montrerait une plus grande écoute, signale Willy Lavastre. Un peu tard ? « Si Éric est réélu, et je le souhaite, ça ne sera pas grâce aux quartiers populaires », pronostique-t-il.

Ni probablement au milieu culturel, « qui avait pourtant un a priori favorable », indique Henri Touati, un des déçus, qui a dirigé d’importantes structures. Certes, l’annulation des 438 000 euros de subvention annuelle des Musiciens du Louvre, prestigieuse troupe aux revenus confortables, a œuvré pour casser l’image élitiste de la culture grenobloise. Mais une approche gestionnaire, qui a conduit à la fermeture de deux bibliothèques, a laissé des traces. « Et pourquoi le conservatoire s’intéresse-t-il toujours aussi peu à des expressions populaires comme le hip-hop ou le rap ? » interpelle Willy Lavastre.

Culture « de la rencontre », « de la diversité », « de l’hospitalité »… Un groupe de travail citoyen qualifié avait alimenté le programme du candidat Piolle en idées novatrices : de communications maladroites en concertations bâclées, il s’est rapidement senti « trahi ». Dans l’espoir de « rattraper le coup », Henri Touati a organisé, fin 2019, une mission de « réconciliation » pour tenter de rabibocher les gens de culture avec la municipalité. Alors que la liste Piolle 2 ne doit pas être dévoilée avant le 20 février, il redoute que le suspense sur la candidature pour la délégation à la culture ne trahisse de bons vieux arrangements politiques à l’ancienne.

(1) Étude et classement réalisés par le Réseau action climat, Greenpeace et l’Unicef, décembre 2019.

(2) Pour lequel Grenoble est en tête des villes moyennes, selon le baromètre 2019 de la Fédération des usagers de la bicyclette.

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