Claude Bourdet : L’espoir perdu de la Résistance

Les éditions du Félin rééditent les passionnantes mémoires de résistance et de déportation de Claude Bourdet, un des meilleurs livres jamais écrits sur la période.

Olivier Doubre  • 26 février 2020 abonné·es
Claude Bourdet : L’espoir perdu de la Résistance
© AFP

Celles et ceux qui lisent Politis depuis longtemps n’auront pas oublié Claude Bourdet, qui fut l’un des fondateurs du journal. Son nom était d’ailleurs déjà inscrit en bonne place sur quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de la presse hexagonale engagée, depuis Combat jusqu’à Politique Hebdo, puis Politis, en passant par France Observateur ou Témoignage chrétien. Il fut aussi l’un des fondateurs du PSU (Parti socialiste unifié) en 1958, à la suite de son engagement très à gauche (mais non stalinien) et ses profondes convictions anticoloniales. Il demeure surtout connu comme résistant de premier plan puis déporté, membre du Conseil national de la Résistance (CNR), et Compagnon de la Libération. Tout juste la trentaine, il devient l’un des principaux dirigeants (en zone sud), dès 1940, de l’important mouvement Combat.

Si l’on dispose de nombre d’études d’histoire sur la Seconde Guerre mondiale et, en particulier, la Résistance française (1), beaucoup de récits des acteurs eux-mêmes, depuis leur engagement et leur participation aux combats au sein des « mouvements », sont devenus « aujourd’hui introuvables, pour diverses raisons dont la moindre n’est pas la modestie d’auteurs qui furent des héros ». C’est ainsi que l’association Liberté-Mémoire, composée d’anciens résistants parmi les plus prestigieux, tous décédés cependant (Lucie et Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Germaine Tillion, Pierre Sudreau, Serge Ravanel, Jean-Pierre Vernant…), présente, en exergue, cette collection accueillie par les éditions du Félin – qui viennent de décider de la décliner aujourd’hui en « poche » – et son projet résumé par ces mots : « Aujourd’hui comme autrefois, la flamme de la Résistance ne doit pas s’éteindre. »

À l’issue de ces quelque sept cents pages de récit haletant, se terminant par son retour (in extremis) de déportation, Claude Bourdet montre son affliction quant à la France de l’après-guerre, empruntant la voie d’une véritable « restauration de l’ordre bourgeois », d’une société capitaliste marquée par l’injustice sociale, en dépit des conquêtes du programme du Conseil national de la Résistance – et surtout sans tirer les leçons de Vichy. Ainsi, dans ce livre époustouflant – que qualifie avec raison Gilles Martinet dans sa préface comme « l’un des meilleurs qu’on ait pu écrire sur la Résistance » –, on suit la progressive perception de l’auteur, après moult pages sur les rivalités entre les différents mouvements de la Résistance, quant à la France libre d’un De Gaulle, longtemps lecteur de L’Action française et haut gradé à « l’autoritarisme maladif ». Une annonce de la Ve République et de son régime présidentiel quasi monarchique, dont nous continuons de souffrir… Un ouvrage majeur.

(1) Signalons le récent – et admirable – ouvrage de Sébastien Albertelli, Julien Blanc et Laurent Douzou : La Lutte clandestine en France. Une histoire de la Résistance (1940-1944), Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 448 pages, 26 euros.

L’Aventure incertaine. De la Résistance à la restauration Claude Bourdet, préface de Gilles Martinet, postface de Jean-Marie Borzeix, éd. du Félin, coll. « Résistance poche », 696 pages, 13 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »
Entretien 9 juin 2025 abonné·es

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »

L’océanographe et plongeur professionnel ne se lasse pas de raconter les écosystèmes marins qu’il a côtoyés dans les années 1980 et qu’il a vu se dégrader au fil des années. Il plaide pour une reconnaissance des droits des espèces invisibles qui façonnent l’équilibre du monde, alors que s’ouvre ce 9 juin à Nice la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc).
Par Vanina Delmas
L’insurrection douce, vivre sans l’État
Idées 4 juin 2025 abonné·es

L’insurrection douce, vivre sans l’État

Collectifs de vie, coopératives agricoles, expériences solidaires… Les initiatives se multiplient pour mener sa vie de façon autonome, à l’écart du système capitaliste. Juliette Duquesne est partie à leur rencontre.
Par François Rulier
Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »
Entretien 4 juin 2025 abonné·es

Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »

Il y a dix ans, les éditions Cambourakis créaient la collection « Sorcières » pour donner une place aux textes féministes, écologistes, anticapitalistes écrits dans les années 1970 et 1980. Retour sur cette décennie d’effervescence intellectuelle et militante avec la directrice de cette collection.
Par Vanina Delmas
« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »
Entretien 27 mai 2025 abonné·es

« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »

Alors qu’ArcelorMittal a annoncé un vaste plan de suppressions de postes, la CGT a décidé d’entamer une « guerre » pour préserver les emplois et éviter le départ du producteur d’acier de l’Hexagone. Reynald Quaegebeur et Gaëtan Lecocq, deux élus du premier syndicat de l’entreprise, appellent les politiques à envisager sérieusement une nationalisation.
Par Pierre Jequier-Zalc