Pietraszewski, la voix de son maître

Nommé en catastrophe le 17 décembre après le départ précipité de Jean-Paul Delevoye, l’ancien DRH d’Auchan parle beaucoup mais ne maîtrise guère son dossier. Exemple type du soldat de la macronie.

Nadia Sweeny  • 11 mars 2020 abonné·es
Pietraszewski, la voix de son maître
© Dominique Boutin/AFP

Lorsque Laurent Pietraszewski s’installe, mercredi 4 mars, devant un parterre de journalistes invités par l’Association des journalistes de l’information sociale, il joue la carte de l’humour et de la proximité. « Pas de tables entre nous », lance le secrétaire d’État chargé de la réforme des retraites, poussant énergiquement le meuble comme une promesse virile et glissant sa chaise face à l’assemblée. On a l’impression qu’on va enfin se parler franchement.

L’heure est grave : Édouard Philippe vient de dégainer le 49.3, la majorité de la population française reste hostile au projet de réforme des retraites du gouvernement et ledit projet suscite encore une flopée de questions dont on espère, ce jour-là, qu’elles trouvent une réponse. Mais le natif de Seine-Saint-Denis, parti vivre près de Lille à l’adolescence, est prêt… à ne pas dire grand-chose de plus, au risque de prendre des coups. Et c’est précisément son rôle : esquiver, encaisser et asséner sans relâche le discours du gouvernement. En langage habituel, on appelle ça un porte-parole. « On lui demande de lire des fiches, tacle un député LR qui l’a côtoyé à la commission des Affaires sociales. C’est un moine-soldat, toujours aux ordres, et malgré ce qu’on nous a vendu sur le personnage, les retraites, c’est pas son dossier ! »

Un procès en amateurisme qu’on retrouve chez beaucoup d’interlocuteurs du ministre. « Pietra débarque, lance un négociateur des partenaires sociaux qui souhaite garder l’anonymat. Il a gardé l’équipe de Delevoye et remet ses chaussons, mais tout le monde sait qu’en réalité c’est Thomas Fatome [directeur adjoint du cabinet du Premier ministre, NDLR] qui gère désormais le dossier. » Les attaques pleuvent. « Quand les critiques sont aussi extrêmes, je me dis que je suis dans le vrai », se rassure, au micro de l’hémicycle, -Laurent Pietraszewski, qui répond désormais à la majorité des questions au gouvernement sur le dossier des retraites, pourtant adressées au Premier ministre. Comme un bouclier. Au sein du groupe de la majorité LREM, on ne tarit pas d’éloges sur ce « fonceur » qui résiste, au cœur de l’adversité.

« Pietra ressemble à beaucoup de néo–marcheurs : il a une culture managériale libérale et n’a pas le sentiment de mal faire, témoigne Boris Vallaud, député socialiste. En revanche, il boit le petit-lait du gouvernement et n’accepte pas la contradiction. Il y a une forme de positivisme, un chemin d’évidence chez les marcheurs : ils ne doutent pas et ne reconnaissent pas leurs erreurs. » Un entêtement qui confine presque au sentiment de supériorité, auquel le ministre n’échappe pas. « Il y a chez lui une forme d’arrogance : il est un peu donneur de leçons », renchérit un député LR.

Du côté des avocats, la sentence est moins sévère. « En tant que député, M. Pietraszewski a été d’un grand soutien pour faire retirer de l’article 52 du projet de loi la suppression de l’autonomie de notre caisse autonome, explique Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux. Mais, depuis qu’il est au gouvernement, nous n’arrivons plus à nous faire comprendre. Ce n’est pas une question de personne, mais il a adopté une posture dogmatique là où nous demandons du pragmatique. »

Décrit comme agréable et sympathique, Pietraszewski n’en est pas moins l’acteur principal d’un dialogue de sourds. « Il n’a jamais refusé de parler mais il n’a absolument rien retenu de nos discussions », lance un négociateur. Pourtant vanté par le gouvernement comme un chantre du dialogue social, expérimenté au sein de la DRH du groupe Auchan. « Ce n’était absolument pas un acteur des négociations, affirme Guy Laplatine, délégué syndical CFDT Auchan. Il faisait partie du staff, mais c’était plutôt une potiche. Ça m’a bien fait marrer quand ils l’ont présenté comme un négociateur ! » Même rire jaune du côté de Force ouvrière. « On le connaît parce qu’il a essayé de renvoyer une salariée syndiquée à la CFDT pour une affaire grotesque de petits pains mais, sinon, on ne l’a jamais vu siéger ni au comité central d’entreprise, ni au comité de groupe, ni au comité européen, se souvient Pascal Saeyvoet, délégué syndical central. Il n’était ni un référent technique ni un acteur de confrontations avec nous. Le dialogue social, il y connaît que dalle ! » Un profil au poil pour faire passer au forceps la réforme avant la fermeture de l’Assemblée nationale, le 6 juillet.

En matière de passage en force, « Pietra » n’en est pas à son coup d’essai. Il est l’heureux député qui porta les ordonnances de la loi travail, dans laquelle il a ajouté, en son nom, un amendement permettant la réduction du nombre de critères de pénibilité. Notion honnie par le Président lui-même, mais incontournable dans le dossier des retraites. « Un jour, j’ai emballé une palette dans du film plastique », se lance le ministre, nous mimant la scène. « C’est vrai que c’était difficile, il ne faut pas nier la pénibilité », renchérit-il avant de se lancer sur la nécessité d’individualiser la question et de l’associer à celle des carrières longues : « Moi, je suis typiquement le fruit d’une carrière longue, ce ne serait pas juste que je puisse partir à la retraite avant les autres… » Quelle abnégation ! Mais « individualiser la pénibilité, c’est empêcher de travailler sur les branches [unités de production qui ont la même activité] », tacle un négociateur des partenaires sociaux.

Question soulevée par la presse : « Il y a un référentiel de pénibilité au niveau des branches : celles-ci ont-elles été concertées ? » demande Florence Mehrez, rédactrice en chef d’Actuel RH. « Non », répond d’aplomb le ministre. « Et pourquoi ? » se risque-t-elle. « C’est une bonne question… je note. » Peut-être que la réponse émergera une fois que les cabinets du Premier ministre auront rédigé une fiche. « Il y a énormément de choses dont ils ne savent rien, s’inquiète Boris Vallaud_. Je pense sincèrement qu’ils sont complètement dépassés par leur créature. »_ Ce qui n’empêche pas « Pietra  » de la défendre coûte que coûte, parlant même d’un 49.3 « de rassemblement » : « On fait avec douceur et respect », ose le ministre. Des notions dont on n’a, visiblement, pas tous la même définition.

Politique
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