Samuel Hayat : « Un usage autoritaire de la démocratie »

Macron et le gouvernement en font un usage « instrumental », mais qui finira par se retourner contre eux, explique le chercheur Samuel Hayat.

Victor Le Boisselier  • 4 mars 2020 abonné·es
Samuel Hayat : « Un usage autoritaire de la démocratie »
© Lors d’une manifestation devant l’Assemblée nationale, le 29 février, après l’annonce de l’utilisation du 49.3.

En février, le chercheur en science politique Samuel Hayat, publiait l’essai Démocratie (1), où il s’interroge sur le sens de ce mot. Pour Politis, il revient sur le dernier passage en force du gouvernement et l’usage du 49.3, révélateur de la conception de la démocratie de l’exécutif en place.

Près de trois mois après le début d’un mouvement social historique, le gouvernement utilise le 49.3 pour faire passer la réforme des retraites. Comment en est-on arrivé là ?

Samuel Hayat : Lors d’un entretien fin janvier, alors que la contestation était encore vive contre la réforme des retraites, Emmanuel Macron a expliqué que la démocratie consistait à élire des gens puis respecter leur travail. De ce point de vue, il serait donc antidémocratique de contester les décisions du gouvernement. Mais on voit bien jusqu’où ce raisonnement peut mener avec l’utilisation de l’article 49.3. On a un gouvernement qui est prêt à passer au-dessus de la représentation nationale quand ça l’arrange. C’est d’autant plus grave quand il s’attaque à un système de retraites qui fait partie du volet social de la démocratie.

L’exécutif a une conception de la démocratie qui est très autoritaire. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas démocratique, simplement que l’usage en est autoritaire. Il utilise des procédures légales, constitutionnelles mais qui sont totalement opposées à l’esprit de la démocratie.

Pourtant, l’année dernière, la démocratie directe était au centre des revendications des gilets jaunes, que l’exécutif disait avoir entendues. C’est le fameux « en même temps » si cher à la macronie ?

Cela indique bien l’usage que le gouvernement fait de l’idée démocratique : un usage très instrumental. Il utilise cette idée seulement quand cela lui sert en termes de communication. C’est le sens du « grand débat », de la fausse concertation sur les retraites, et peut-être de la convention citoyenne sur le climat. Le gouvernement donne l’apparence de la démocratie en créant ces dispositifs-là. Mais quand il s’agit d’appliquer des politiques concrètes, celles-ci sont à l’opposé de la démocratie. Il incarne une certaine hypocrisie démocratique, qui n’est certes pas nouvelle. C’est-à-dire que sur le papier, on donne des gages à une démocratie au sens fort, participatif et égalitaire. Mais, en réalité, les décisions relèvent d’un petit nombre de personnes, et sont prises en faveur des plus riches. Le problème, c’est que cet usage hypocrite du mot démocratie est très dangereux. Car à chaque fois qu’Emmanuel Macron attaque la démocratie au nom de la démocratie, il l’affaiblit l’idéal démocratique et amène les citoyens à se tourner vers des solutions plus autoritaires. Car quitte à ne pas avoir la chose démocratique, autant qu’on ne s’embarrasse pas avec un mot qui ne renvoie plus à rien.

Quand Édouard Philippe explique que le 49.3 va mettre fin au non-débat, est-on également dans cette instrumentalisation ?

Oui, on assiste à un retournement complet des mots. On nous dit que le 49.3 est utilisé pour le débat. Le problème de l’usage de ces mots, c’est que les gens ne sont pas idiots. Cela affaiblit la parole politique, qui apparaît comme une parole mensongère. Dans une démocratie, on ne peut pas prendre les gens impunément pour des imbéciles. Cela se retourne toujours contre les gens qui le font. Car malgré toutes les limites de la démocratie représentative, il y a des moments d’élections. Les citoyens et citoyennes peuvent alors déserter la scène politique avec l’abstention ou un vote purement protestataire, ou ils se tournent simplement vers d’autres valeurs et d’autres leaders.

Justement, les échéances électorales à venir ont-elles changé la donne pour cette réforme des retraites ?

Ce gouvernement n’est pas appuyé sur un parti au sens habituel, mais sur un mouvement entièrement au service d’un président de la République. Il n’est donc pas tenu par un appareil de parti dans lequel s’exprimaient différents intérêts et qui pourrait lui dire à l’approche des élections : « Essayez de modérer vos politiques antisociales, essayez de rassembler, afin que les barons du parti gardent leur place. » Il n’y a pas ça aujourd’hui dans ce gouvernement, il n’y a pas de garde-fou oligarchique que pouvaient être les garde-fous de la démocratie électorale. C’est un gouvernement littéralement en roue libre. Mais il a les moyens de sa politique car les députés LREM, qui pour la plupart n’ont pas d’expérience politique, doivent tout à Emmanuel Macron. Pas au parti, mais bien directement à Emmanuel Macron. Ce sont donc des personnes qui voteraient tout ce qu’on leur propose. C’est ça que met en lumière le 49.3, c’est que quel que soit le contenu des lois que le gouvernement propose, les députés ne voteront jamais la censure du gouvernement car ils doivent tout à Emmanuel Macron et au pouvoir en place. Ils sont donc bien plus asservis que ne l’ont été les députés appartenant à un parti constitué.

Donc la grogne décrite dans les rangs des députés de la majorité est anecdotique ?

Leur autonomie est relative. Je ne pense pas qu’il y aura une défection en masse de la part des députés La République en marche. Certes, certains ont des liens avec les partis qu’ils ont quittés pour rejoindre LREM. Mais ils sont minoritaires et une fois qu’ils seront partis, les autres resteront attachés indéfectiblement à la présidence.

Le 49.3 ne résulte-t-il pas également d’une focalisation politico-médiatique sur l’action de l’exécutif ?

Oui, le 49.3 va avec une logique des institutions entièrement centrée sur le pouvoir exécutif. Il suffit d’allumer la télévision pour voir que tout est centré sur le gouvernement, sa capacité à agir, surtout dans l’urgence. Dans le livre Le Retour du prince (2), Vincent Martigny décrit le paradoxe suivant : moins les gouvernants ont de pouvoir réel, plus ils mettent en scène un pouvoir démesuré. Le moment que l’on vit en témoigne : on a un projet de loi préparé de longue date avec des rapports, dans des administrations, par des lobbys divers, mais qui tout à coup est présenté comme l’œuvre d’un exécutif réformateur tout-puissant. Cette toute-puissance de l’exécutif est dangereuse car tous ceux qui demandent le débat sont considérés comme des ennemis non seulement du gouvernement et de ses actions, mais de la politique elle-même. Le seul fait de vouloir discuter collectivement des lois lorsque celles-ci remettent en question un pan du système social est considéré comme un conservatisme insupportable. Il y a donc un lien entre la focalisation sur l’exécutif, le temps très court de la politique et l’affaiblissement de la démocratie.

(1) Démocratie, Samuel Hayat, Anamosa, 96 pages, 9 euros.

(2) Flammarion, 2019.

Samuel Hayat Chargé de recherche au CNRS.

Politique
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