Les « trente désastreuses » de l’hôpital public

La densité de lits a diminué de 48 % en France, de 21 % en Allemagne.

Jean Gadrey  • 8 avril 2020
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Les « trente désastreuses » de l’hôpital public
© Manifestation des personnels hospitaliers le 17 décembre 2019 à Paris.Photo : Alain JOCARD / AFP

Un des aspects les plus criants de la crise du coronavirus est la sursaturation des hôpitaux face aux besoins des patients gravement atteints. Presque tous les pays de l’OCDE ont connu une réduction, depuis le début des années 1990, des capacités d’accueil dans les hôpitaux, mis à une diète néolibérale forcée où tous les services publics ont trinqué. Mais dans des proportions variables selon les pays. Comparons la France et l’Allemagne.

En 1991, ces deux pays avaient presque la même densité de lits d’hôpitaux : 10,1 lits pour 1 000 habitants en Allemagne, 9,6 en France. En 2017, ces chiffres étaient de 8 en Allemagne et 6 en France. Une diminution de 21 % en Allemagne, de 48 % en France. Sans forcément prendre l’Allemagne comme modèle, on peut au moins affirmer que, si les politiques sanitaires en France avaient limité la casse en réduisant la densité de lits dans la même proportion qu’en Allemagne, nous aurions 112 000 lits d’hôpitaux en plus. Pour ce qui est des lits de soins intensifs, nous en aurions environ 20 % de plus, ce qui serait sans doute insuffisant dans quelques régions, mais probablement à la hauteur des besoins nationaux.

Une partie de cette diminution n’est pas condamnable en soi. Par exemple, il y avait dans les hôpitaux des années 1980 et 1990 beaucoup de « longs séjours » ressemblant aux services des Ehpad, qui ont été créés ou développés à partir du début des années 2000. Il est vrai aussi que les techniques médicales ont permis de raccourcir les durées de séjour dans des conditions parfois justifiées, parfois moins. La forte progression de la chirurgie ambulatoire (sans journée d’hospitalisation) comme stratégie de réduction des coûts (et des lits) est parfois un progrès du point de vue des patients, parfois une régression. En cas d’épidémie forte et dangereuse, l’ambulatoire n’est pas une solution et la pénurie de lits d’hospitalisation devient mortelle.

Tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont mené cette politique de casse pendant ces « trente désastreuses ». Il en a fallu, des lois austéritaires, pour cela ! Rien qu’au cours des onze dernières années, on a eu la « loi Bachelot » de 2009, qui avait pour objectif de supprimer 22 000 postes et de fermer 16 000 lits d’hospitalisation en installant à la direction des hôpitaux des managers non médicaux. En 2015, la loi de Marisol Touraine et Manuel Valls était tout aussi « ambitieuse » dans la casse. Depuis le début du règne d’Emmanuel Macron, le tour de vis s’est poursuivi en dépit des puissants mouvements des personnels soignants. La « loi Buzyn » de 2019 a prévu notamment de « déclasser » environ 300 hôpitaux de proximité en fermant de nombreux services d’urgence et de chirurgie et des maternités.

Il ne faut pas attendre un hypothétique « jour d’après » pour demander des comptes aux casseurs, en particulier à ceux qui, depuis des semaines, mènent une « politique criminelle (1) ».

(1) « Lettre ouverte à Muriel Pénicaud : “Cessez votre politique criminelle !” », blog « Ateliers travail et démocratie », Mediapart, 2 avril.

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