Une inspection du travail entravée

Le contrôle du bien-fondé de l’activité partielle devient impossible.

Sabina Issehnane  • 29 avril 2020
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Une inspection du travail entravée
© Photo : Ludovic MARIN / AFP

Muriel Pénicaud poursuit sa ligne directrice : maintenir l’activité économique coûte que coûte, quelles qu’en soient les conséquences sur la santé des salariés. Les inspecteurs du travail, environ 2 000 à veiller sur 18 millions de salariés, constituent un obstacle pour la ministre. En multipliant les pressions sur ses agents et en allant jusqu’à la mise à pied d’un inspecteur, celle-ci porte atteinte à l’indépendance de l’inspection, au point que quatre syndicats ont saisi l’Organisation internationale du travail (OIT).

En cette période de confinement liée au Covid-19, les services du ministère du Travail se voient assujettis à deux missions importantes : veiller d’une part à ce que les travailleurs continuant d’exercer leur activité sur leur lieu de travail soient correctement protégés face à cette pandémie et, d’autre part, vérifier que le dispositif d’activité partielle (chômage partiel) ne donne pas lieu à des abus de la part des employeurs. C’est en raison de l’exercice de la première mission – la mise en place d’une procédure en référé contre une structure d’aide à domicile afin qu’elle fournisse le matériel de protection nécessaire à ses salariées – que l’agent Anthony Smith s’est vu suspendre de ses fonctions.

Par ailleurs, le gouvernement octroie des aides aux entreprises, dont l’absence de conditionnalités pose problème. L’une de ces aides est l’usage massif du dispositif d’activité partielle, qui a subi une refonte importante. L’inspection du travail dispose dorénavant de deux jours pour évaluer le bien-fondé de la demande (contre quinze auparavant), si bien que tout contrôle devient quasi impossible. Alors que l’aide octroyée aux entreprises s’élevait au maximum à 7,74 euros de l’heure, désormais celle-ci couvre 70 % du salaire brut du salarié (soit 84 % du net) et peut atteindre 4,5 Smic. Les employeurs perçoivent ainsi une allocation financée intégralement par l’État et l’Unedic, dont le coût devrait avoisiner les 24 milliards d’euros. En outre, les entreprises bénéficient de prêts garantis par l’État, de reports d’impôts et de cotisations notamment. D’autres pays, à l’instar du Danemark, ont décidé de soumettre ces aides à des contreparties.

Alors que Bruno Le Maire avait promis de ne pas en verser aux entreprises domiciliées dans des paradis fiscaux, l’amendement a été rejeté lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative. Il ne suffit pas de « prier » les entreprises qui bénéficient d’aides de ne pas verser de dividendes, il faut l’exiger. Au-delà, les aides versées doivent désormais être conditionnées à une conversion écologique de leurs activités. Ce gouvernement, comme les précédents, a eu l’habitude d’octroyer des dizaines de milliards d’euros aux entreprises sans aucune contrepartie, à l’instar du crédit impôt compétitivité emploi (CICE) et du crédit impôt recherche (CIR), dont les évaluations ont montré leur inefficacité en termes d’emplois. Il est temps maintenant de privilégier les activités essentielles comme la santé, la transition écologique, l’éducation ou la recherche pour créer les bases d’une transformation radicale de notre société.

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