Big Pharma et le coronavirus

L’industrie pharmaceutique fonctionne sur la recherche de rentes.

Hélène Tordjman  • 3 juin 2020
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Big Pharma et le coronavirus
© Photo : LOIC VENANCE / AFP

La crise sanitaire jette une lumière crue sur les pratiques de l’oligopole mondial des industries pharmaceutiques, dominé par quelques grandes firmes multinationales, Big Pharma. Ces dernières sont engagées dans une course au profit qui s’exerce au détriment des populations. Au début de la crise, on a assisté à des pénuries de médicaments fondamentaux pour soigner les cas graves de Covid-19, en particulier des anesthésiques nécessaires en réanimation. Les raisons de ces pénuries sont de deux ordres. Les délocalisations industrielles ont abouti à concentrer la production de principes actifs en Chine et en Inde, mettant à mal la souveraineté sanitaire de nombreux pays. Par ailleurs, les médicaments qui ne sont plus sous brevet, qui peuvent donc être produits sous forme générique, n’intéressent pas les grandes firmes, car leurs prix de vente ne sont pas assez élevés.

De manière plus structurelle, l’industrie pharmaceutique fonctionne sur un business model fondé sur la recherche de rentes. Celles-ci proviennent essentiellement des actifs intangibles que sont les brevets, qui donnent aux firmes des droits de monopole sur les nouvelles molécules pendant vingt ans. Elles légitiment ces rentes par des coûts importants de recherche et développement (R&D), mais oublient de rappeler qu’une bonne partie des recherches sont financées par des fonds publics, c’est-à-dire in fine par le contribuable. C’est ainsi que Sanofi a récemment déclaré que les États-Unis seraient prioritaires pour la distribution d’un vaccin contre le Covid-19 parce que le gouvernement américain avait financé sa recherche à hauteur de 30 millions de dollars. Sanofi touche environ 150 millions d’euros par an depuis dix ans grâce au crédit impôt recherche, mais la population française ne sera pas prioritaire… Et, surtout, les contribuables paient deux fois : en finançant la recherche, et en achetant les médicaments. Merci à la Sécurité sociale.

L’industrie pharmaceutique est donc très rentable. Ces profits viendraient-ils financer la R&D qui légitime les fameux brevets ? En partie seulement. Une étude de William Lazonick et de ses collègues analyse ce qu’ont fait dix-huit grandes entreprises pharmaceutiques américaines de leurs revenus nets entre 2009 et 2018 (1). Ceux-ci s’établissent, pour l’ensemble de ces firmes, à 588 milliards de dollars cumulés. Elles se sont endettées pour allouer 544 milliards à la R&D et verser 287 milliards en dividendes aux actionnaires et 335 milliards au titre des rachats de leurs propres actions. Et ce, afin de faire monter artificiellement le cours des actions et satisfaire les actionnaires. De plus, les rémunérations des cadres dirigeants étant alignées sur les cours de Bourse des entreprises, ceux-ci ont tout intérêt à « maximiser la valeur actionnariale » de leurs firmes, mantra de la gestion des entreprises dans un régime de capitalisme financiarisé. On peut douter qu’un tel business model soit compatible avec la production d’un vaccin envisagé comme bien commun.

(1) « Financialization of the US pharmaceutical industry », William Lazonick et al., Institute for New Economic Thinking, décembre 2019.

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