« Le Printemps marseillais, c’est une fierté, une dignité retrouvée »

Même si l’élection de Michèle Rubirola ne se jouera qu’au « 3e tour », la coalition de gauche, écologiste et citoyenne du Printemps marseillais a largement battu l’équipe de droite sortante. L’espoir de « changer les choses » est immense dans la population marseillaise.

Nina Hubinet  • 29 juin 2020 abonné·es
« Le Printemps marseillais, c’est une fierté, une dignité retrouvée »
© Photo : Clément Mahoudeau/AFP

Sophie ! Sophie ! Sophie ! » Il est bientôt 2 heures du matin, quand, après avoir acclamé Michèle Rubirola, les quelque 300 personnes rassemblées ce 28 juin près de l’hôtel de ville de Marseille, sur le Vieux-Port, font une ovation à Sophie Camard, la suppléante de Jean-Luc Mélenchon. Passée par EELV avant de rejoindre LFI, elle a emporté les Ier et VIIe arrondissements, l’hyper-centre, avec 58 % des suffrages contre 31 % pour la maire sortante de droite. « Et plus de 75 % dans plusieurs bureaux de vote, dont le mien ! », se félicite Vincent, la soixantaine, un soutien de la première heure du Printemps marseillais. Pour lui, la coalition de gauche, écologiste et citoyenne incarne l’espoir d’un nouveau type de gestion municipale, où la transparence est la règle, et « l’implication citoyenne » qui a présidé à la construction de ce rassemblement de partis de gauche (PS, PCF, LFI, Génération·s…), d’écologistes et de « non-encartés », se poursuit et s’amplifie.

« Le fait que le Printemps n’ait pas de majorité absolue, ça oblige à continuer à travailler avec les citoyens », se persuade Loïc, chercheur au CNRS de 42 ans et lui-même colistier de Sophie Camard. À quelques mètres de là, la joie d’un groupe de jeunes fait écho à celle de Vincent et Loïc. « C’était super important pour nous de voter aujourd’hui, parce qu’on a tous 26 ou 27 ans, qu’on a connu que cette mairie corrompue jusqu’à l’os, et là, avec le Printemps, on a enfin l’occasion de changer les choses », pose Nouran, étudiante en sciences politiques. « On va pouvoir remettre les finances de la ville à zéro, avoir plus d’espaces verts, des vrais transports pour mieux relier les quartiers nord… », énumère Maxence, qui étudie, lui, la sociologie. « Mais c’est vrai qu’on n’y croyait pas au départ, et jusqu’à la semaine dernière : c’est l’affaire des procurations qui a tout fait basculer », précise Sabrine, qui travaille dans le marketing. Même dans les rangs de la gauche, ils n’étaient pas très nombreux à miser sur le succès du Printemps marseillais avant le premier tour.

Équation incertaine

Bien qu’ils aient réussi leur ambitieux pari, les nouveaux élus de la coalition de gauche vont devoir résoudre une difficile équation avant de pouvoir appliquer leur programme. Comme à Paris et à Lyon, l’élection se fait par secteurs à Marseille : une fois les maires de secteurs et leurs colistiers élus, les 101 conseillers municipaux se réunissent pour élire le ou la maire de la ville. Et lorsque, comme c’est le cas cette fois-ci, le scrutin est serré, le « 3e tour » devient un jeu de tractations avec les petits groupes politiques, transformés en faiseurs de roi ou de reine. Il faut en effet parvenir à rassembler 51 conseillers dans son camp pour atteindre la majorité absolue. Le Printemps marseillais n’en ayant que 42, ses leaders vont probablement devoir négocier ferme avec Samia Ghali, ex-PS, figure politique des quartiers nord de la ville, pour récupérer ses 8 sièges. Alors même que celle-ci, accusée de perpétuer le système clientéliste, symbolise ce « système » auquel le Printemps marseillais entend mettre un terme… Il leur faudra peut-être même courtiser Bruno Gilles, le dissident de droite dont les 3 élus pourraient faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.

« Dignité retrouvée »

La victoire de la gauche, pourtant historique dans cette ville détenue par la droite depuis vingt-cinq ans, a donc laissé un goût un peu amer à beaucoup de ses partisans. « Cela ne m’étonnerait pas que Samia Ghali s’allie, même officieusement, avec la droite… Si elle était vraiment de gauche, elle aurait déjà rejoint le Printemps. Le système politique marseillais – et elle a baigné dedans –, c’est “tout est possible” », se désole Julien, 35 ans, prof de sport dans un lycée professionnel. Celui qui se définit comme gilet jaune, après avoir été engagé au PCF, affiche une mine dépitée devant la permanence d’Olivia Fortin, gagnante face à Martine Vassal dans le fief de droite des VIe et VIIIe arrondissements. Avant de se laisser à nouveau gagner par l’enthousiasme : « Vous vous rendez compte ce que ça signifie, prendre ce secteur à la droite ? C’était impensable jusqu’ici », souligne-t-il. « Je suis sûr que cet élan du Printemps, ça va donner des idées aux habitants des quartiers populaires de Marseille : ils vont se rendre compte qu’ils sont capables de se défaire de cette droite clientéliste qui les tient depuis vingt-cinq ans », veut croire celui qui a grandi à la Capelette, l’un des quartiers délaissés de la ville. Avant de conclure, d’une voix émue : « Pour moi, le Printemps marseillais, c’est une fierté, une dignité retrouvée. »

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